lundi 20 juin 2011

Les poils du Dieu Pan /11

Gommez, Norec et Lézard abandonnèrent soulagés l’atmosphère confinée de la morgue, pour l’air frais et piquant de cette fin d’après-midi, adoucit par un soleil voilé. Ils s’attardèrent, indécis et songeurs, devant le bâtiment, tentant de remiser dans un recoin de leurs esprits l’image douloureuse du jeune corps sans vie. Finalement, la commissaire se tourna vers son adjoint et lui enjoignit de rejoindre le bureau, pour enregistrer la déposition de la comptable, Sonia Mayol, si cette dernière était en état de répondre. Elle le pria également d’organiser une rencontre dans les locaux avec Antoine Marrel, et sa petite amie, dont on ne connaissait toujours pas le prénom. Gaëtan n’était pas né de la dernière pluie. Il comprenait parfaitement que sa chef saisissait un prétexte pour l’éloigner momentanément. Ce qu’il n’apprécia pas du tout. Il grommela des avertissements inutiles sur le fait qu’il n’était pas très prudent de rester toute seule avec le principal suspect. France Gomez ne prit pas la peine de lui répondre. Cependant, elle lui tendit avec un doux sourire son carnet turquoise, et l’invita à jeter un œil sur ses dernières notes, pour qu’ils en discutent tous les deux en fin de journée et ainsi faire le point. Sourire béat de Norec, qui cessa aussitôt de dresser son visage, tentant de retenir FG par la seule volonté de ses yeux agités de soubresauts. Rasséréné son corps retrouva sa position coutumière : front, nez, menton, épaules basculèrent sur sa poitrine et, tripotant le précieux carnet, il s’en fut mettre de l’ordre dans les pensées chaotiques de sa commissaire bien-aimée. Ce soir, il déposerait telle une offrande, chaque fiche complétée, puis discuterait longuement en tête à tête de l’évolution de l’enquête. Il jubilait déjà à l’idée de leur échange intellectuel, où il déploierait toute la virtuosité de sa capacité d’observation et sa mémoire des petits détails.

- Il tient à vous, on dirait. Il vous suit toujours comme ça, comme un petit chien bien obéissant ?
- Ne soyez pas désagréable Lézard. C’est un très bon compagnon, c’est tout.
- Ah!... Ce n’est pas la même chose ?
- Non. Pas du tout.
Elle cessa de contempler le dos courbé de son adjoint qui rejoignit le véhicule garé sur la place Mazas, et se tourna vers Tristan, souriante.
- Accepteriez-vous de faire quelques pas avec moi ? Si vous avez un peu de temps, bien sûr.
Tristan contempla le ciel songeur. Hésitant. Jusqu’à présent, elle lui avait pris tout son temps, sans s’inquiéter de son opinion.
- Pourquoi pas. Mais, si je refuse de répondre à vos questions, vous n’insistez pas, on est d’accord ?
Elle éclata de rire et accepta le deal. De toute façon, comme elle le lui fit remarquer ironiquement, elle pourrait toujours l’obliger à réintégrer les murs du commissariat afin de lui poser toutes les questions qu’elle souhaitait.
- Je viendrais, en compagnie de mon avocat.
- C’est votre droit. Allez venez, marchons, je commence à avoir froid. Sans doute quelques relents de ces frigos à macchabées derrière nous. Je n’ai jamais réussi à m’y habituer.
Ils s’engagèrent sur le boulevard qui bordait le canal Saint-Martin, chacun appréciant le silence de l’autre. Mais, déformation professionnelle, France Gomez engagea rapidement la conversation et interrogea Tristan sur son enfance. Connaissait-il l’identité de son père ? Formatage borné, Tristan enfouit ses mains dans ses poches, serra ses épaules, et ne répondit pas. Elle ne s’en formalisa pas, et tenta une autre approche.
- Saviez-vous que Voltaire passait de temps à autre voir votre maman dans sa maison en Bourgogne? Nous avons également découvert qu’il lui envoyait un chèque, deux fois par an.
Non, Tristan n’était pas au courant, mais n’y voyait pas d’inconvénient, car c’était la vie privée de sa mère après tout. Il pensa qu’il lui faudrait annoncer la nouvelle du trépas de son ami, sans rentrer dans les détails. Il faisait confiance à Lise pour comprendre entre les lignes.
France continua sur sa lancée, et lui rapporta qu’en fouillant dans l’appartement de Voltaire, ils avaient trouvé une lettre sur le buffet, égarée parmi des factures, où Tristan donnait rendez-vous à son « père » dans son restaurant, le soir où avait eu lieu le meurtre.
- Mon père !? Protesta-t-il violemment.
- Est-ce le cas ? Voltaire est-il votre père ?
- Non…bien sûr que non. Enfin, je n’en sais rien, mais je ne crois pas, non…
Tristan était abasourdi. En même temps, il ne pouvait se défendre d’apprécier la détermination du meurtrier à soigner les détails. Encore un cadavre parmi ces proches ou une simple relation, et il était bon pour être définitivement accusé.
- J’imagine que j’avais également donné rendez-vous à Élodie, n'est-ce pas ?
- Oui. Nous avons retrouvé un mail sur son portable. Vous l’invitiez à diner.
- Le courrier correspond à mon adresse ?
- Celle de votre restaurant.
- Un peu gros, non ? Comme si j’avais placardé des panneaux publicitaires avec des flèches jaunes fluo « c’est par ici ! »
- On peut dire ça. Sans doute êtes-vous un grand dépressif qui s’ignore et qui nous fait parvenir des appels de détresse afin que l’on empêche de continuer à sévir…
- Décidément, vous me surprenez par votre analyse fine de la psychologie humaine. Vous venez d’énoncer le profil du serial killer d’un film de troisième zone, tout juste acceptable pour une diffusion du samedi soir à la télévision.
- Vous être susceptible.
- Vous me prenez pour un con.
- Où étiez-vous le soir du meurtre de Voltaire ?
- Je vous l’ai déjà dit. Chez moi. Seul. Dodo. Ce qui fait que je deviens maintenant le coupable idéal, n'est-ce pas ?
- Oui… et non. Nous n’avons pas de preuve. Juste un mobile un peu faible, basé sur un scénario bancal. Psychologie éculée, comme vous l’avez si bien remarqué.
- Expliquez-moi.
- Votre mère…Et le fait que vous ne vous rappeliez jamais le prénom des femmes qui croise votre vie.
Puis, elle ajouta un brin ironique.
- Retenez-vous leurs parfums ?
- Non. Seulement leurs odeurs. Répondit-il, en la regardant sans sourire.
France Gomez détourna le regard et contempla en silence le flot des voitures qui s’engageait sur la place de la Bastille. Tourniquet incessant et bruyant.
Elle reprit la parole, détachée et professionnelle.
- Pour le moment, je vous demande instamment de ne pas vous éloigner de la capitale, et de rester à notre disposition pour les suites de l’enquête s’il vous plait. Cependant, avec votre permission, j’ai une dernière question : savez-vous comment votre mère s’épilait ?
- Heu…
Sans lui laisser le temps de trouver ses mots, elle tourna les talons avec un grand sourire et, l’abandonna au bord de nulle part entre un quai et un boulevard, comme il y en tant sur Paris.


Bien plus tard, aux environs du commissariat, France Gomez chantonnait une comptine des Fatals Picards, que son neveu Enguerrand ne cessait de hurler quand il passait la voir le weekend. « D’abord il y a, Hector le castor, puis Édouard le canard et José le sanglier…Charlotte, la marmotte…et celui qu’elle préférait : «…Tonio, le blaireau » qu’elle rythma avec un plaisir évident. Car, sur le chemin du retour, attirée par les vitrines séduisantes elle avait pris le temps de s’attarder dans une des boutiques du Marais, pour s’offrir une nouvelle paire de chaussures. Non. Deux, en fait. Car, elle avait longuement hésité entre des nu-pieds aux lacets extravagants, et un modèle terriblement élégant, à plateformes et talons vertigineux, d’un magnifique bleu absinthe. Elle avait succombé finalement, et prit le tout, brulant définitivement sa carte de crédit. Ravie et détendue, mais naturellement prudente, elle prit soin de faire un court détour avant de rejoindre son bureau, pour déposer discrètement ses achats chez son amie Virginie, qui tenait une boutique de bibelots anciens. Puis, sa bonne humeur soigneusement camouflée, elle s’empressa de rejoindre la brigade, visage hermétique et lèvres closes.
Lorsqu’elle franchit le seuil du bâtiment, elle se fit pour la première fois la remarque que le hall d’entrée embaumait une bizarre odeur sucrée, qui évoquait les vacances et l’huile de coco. Totalement décalée. Mais son nez ne s’aventura pas davantage sur cette insignifiante information. Ses réflexes de flics reprirent rapidement le dessus, sitôt qu’elle s’engagea dans le couloir qui menait à son bureau. Elle enchaina sur les connexions hasardeuses qui reliait le massacre de Voltaire à celui d’Élodie. La corrélation demeurait floue, malgré une mise en scène soignée. Des âges et des sexes différents. Un père supposé, une amoureuse ignorée. Un minuscule trait d’union entre un passé noirci d’inconnus et un présent qui s’ignorait. Aucune cohérence, aucun objectif défini, si ce n’est d’accabler un homme au nez sensible, foncièrement indépendant, ouvertement asocial. Perplexe, elle considéra cette affaire de Poils de Pan, ou de Dieu Pan, avec un mélange de découragement et d’excitation morbide, comme elle n’en avait plus connu depuis longtemps.
Elle aperçut Norec à l’autre bout du couloir, un gobelet en plastique fumant à la main. Un café sans doute, qu’il était allé chercher au distributeur de boissons installé dans la minuscule salle de repos.
- Ah ! Vous voici, je commençais à m’inquiéter ! s’exclamait’-il venant rapidement à sa rencontre.
- Pourquoi donc Norec ? Dit-elle tranquillement en lui prenant le café des mains pour le porter aussitôt à ses lèvres, et en savourer une longue gorgée. Pour la nième fois, elle se fit la réflexion que ces machines ne savaient servir que des boissons insipides…Elle lui tendit le gobelet vide et, ajouta en pénétrant dans son bureau : « Craigniez-vous que ne fusse dévorée par le Lézard ? »
Elle déposa son énorme sac sur le sol et s’affala lourdement sur la chaise qui couina sous la poussée.
- Très drôle chef... soupirait-il tandis qu’il contemplait résigné son gobelet vide. Vous adoptez après toutes ces années de résistance, l’humour à la noix de cet immeuble saturé de…
- Allons, Norec détendez-vous…et merci pour le café j’en avais vraiment besoin. Tenez, je vous en offre un. Allez vous chercher un de ces ersatz et à votre retour nous discuterons de la déposition de Sonia Mayol. Vous avez pu obtenir une information correcte ?
- Oui. La boîte de Kleenex y est passée, mais bon, j’en ai tiré quelque chose malgré tout.
Norec conserva le gobelet vide et s’en retourna chercher un autre café. Il revint quelques minutes plus tard, et trouva sa chef studieusement assise, en train de griffonner des phrases suivies de flèches, sur des feuilles A4 tirées de son imprimante. Quelques réflexions sans doute, à rajouter plus tard au carnet turquoise.
Gomez leva à peine les yeux, tandis que Gaëtan s’installait de l’autre coté de la pièce, derrière son propre bureau. Elle lui laissa quelques secondes pour siroter son breuvage, puis s’adressa à lui à sa manière pondérée et polie.
- Alors, racontez-moi Norec. Qu’avez-vous consigné de votre entretien avec Madame Mayol ?
- Mademoiselle Mayol.
- Si vous voulez.
- Non, non. C’est elle, qui s’est permise d’insister.
- Pointilleuse sur les usages ?
- Exigeante sur les détails, certainement. Volubile et minutieuse durant toute notre conversation. Entre deux sanglots, toutefois. En conclusion, elle n’en démord pas. D’après elle, Tristan Lézard est le meurtrier.
- Comment peut-elle soutenir une telle affirmation ?
- La veille, Élodie a téléphoné pour lui annoncer que Tristan lui avait enfin donné rendez-vous. Cette dernière n’en croyait pas ses yeux, elle avait enfin fini d’être désespérément transparente. Sonia était septique, mais Élodie insistait en disant qu’il n’y avait aucun doute, et que c’était certainement l’incident du café qui avait déclenché ce soudain intérêt.
- On en revient donc au récit du café renversé et de la serviette jaune... Au fait, vous avez obtenu de Monsieur Marrel qu’il vienne avec sa petite amie ?
- Oui. Ils seront là demain pour 9h00.
Le téléphone portable vibra une fois. France Gomez jeta un œil sur son écran et découvrit un SMS envoyé par Lézard.
- Très bien, murmura-t’elle en reposant l’appareil sur la table. « Donc, vous disiez ? Le rendez-vous romantique… »
- Proposé pour le soir même. Sonia trouvait cela un peu précipité, mais Élodie s’en fichait. Elle se préoccupait uniquement de la tenue qu’elle pourrait porter pour se rendre à cette invitation inespérée. Je vous passe les détails de l’inventaire de la garde-robe de la jeune femme. Avant de raccrocher, elles avaient convenu de se voir le lendemain matin, au café le Maurice7, afin qu’Élodie lui conte sa soirée par le menu.
- Et le lendemain, Sonia a attendu en vain
- Ouaip. C’est pourquoi elle s’est finalement rendue chez son amie. Elle imaginait que Tristan avait posé un lapin, ou qu’il ne promettait qu’une aventure d’un soir…elle s’attendait donc à retrouver Élodie effondrée, en larme chez elle, inconsolable au point de ne pouvoir se rendre à son travail. Mais certainement pas, de tomber sur son cadavre mutilé. Elle en a conclu que Tristan, ne supportant plus qu’Élodie amoureuse transie, le harcèle, a décidé de la supprimer.
- Rien que ça ?
- Elle pense que Tristan est un être asocial, incapable de sentiment. Indifférent à son entourage. Il n’a d’amour que pour sa cuisine. Je ne peux pas lui donner tord sur cette analyse.
- L’a-t-elle surprit en train d’agir brutalement, les quelques fois où ils se sont croisés : par des actes, des mots, des injures ?
- Non, jamais. Détaché, insensible, passif. Sont les mots qui reviennent le plus souvent quand elle le décrit.
- Passif…peu de rapport avec la violence avec laquelle Élodie et Voltaire ont été massacrés ?
- Pétage de plomb…cela arrive chez les plus calmes.
- Par avec ce sens de la mise en scène, n’oubliez pas Norec. Le crime est prémédité. L’assassin n’a pas agi sous le coup d’une colère subite ou irresponsable. Il a méticuleusement préparé son coup.
- Vous le défendez !! Ce type étrange à la jolie gueule vous à embrouillé l’esprit !
- Peut-être Norec, peut-être…mais ce n’est pas parce que vous ne l’appréciez pas, que vous devez le condamner sans appel. Rassurez-vous il ne vous remplacera pas.
Grognements de Gaëtan qui tête baissée, tortillait un bout de ficelle abandonné sur son bureau. Il n’en démordrait pas…
- En attendant, vous allez me rappeler Sonia Mayol afin qu’elle revienne nous voir le plus rapidement possible.
Norec leva la tête incrédule.
- Lézard vient de m’envoyer un SMS, précisa Gomez: Mademoiselle Mayol fouette le sabayon
- Je ne comprends pas…
- Tristan Lézard a identifié sur Sonia, tandis qu’elle l’agressait ce matin, une odeur très proche de celle qu’il a sentie sur le corps des deux victimes. Un relent de Sabayon. Sucre et fruits confits. On doit donc vérifier l’emploi du temps de Mademoiselle Mayol. Peut-être est-ce finalement une classique affaire tragique de la jalousie féminine ?
- Bon sang ! Et vous croyez au blair de ce type ?
- Je ramasse tout Norec, ne l’oubliez pas. D’ici là, nous allons revoir mes notes et travailler une partie de la nuit si nécessaire. Qu’avez-vous extrait et résumé de mes gribouillages ? Auriez-vous l’amabilité de me montrer vos superbes fiches ?
Norec ne se le fit pas dire deux fois. Il s’empara des bristols, du carnet et d’une boite en métal « Sablés au Beurre salé de Normandie » qui contenait les fiches des témoins, suspects et autres électrons qui gravitaient autour de l’affaire. Il pivota et roula comme un bolide sur les 5 roues de sa chaise, pour atteindre le coin du bureau de France Gomez. Il freina sec, et déposa son précieux barda devant lui. Prenant à peine son souffle, il attaqua son exposé.
La soirée commençait à peine…

À suivre…

mardi 14 juin 2011

Brève de polar

Tristan Lézard revient sur ce blog, en panne depuis de longue semaines; Je suis en train de rédiger les derniers chapitres et je diffuse la presque totalité en début de semaine prochaine.

Toutes mes excuses pour ce long silence necessaire.

J'ai sans doute eu les yeux plus gros que le ventre, à moins que je ne fasse partie de ces rares cas féminins, incapables de mener plusieurs chantiers en même temps ! ? :))

Aller, zou ! Encore un petit peu de patience, amies et amis lectrices/teurs: les Poils du Dieu Pan va se poursuivre puis s'achever, enfin ! :)