jeudi 7 avril 2011

Les poils du Dieu Pan /9

Évidemment, la nuit fut pénible. Agitée. Ponctuée de visions absurdes et sans issues. Tristan finit par s’arracher du lit et se résolut, pendant les quelques heures qui le séparait de l’aube, à contempler la ville scintillante qui déroulait sous la fenêtre de son immeuble, ses toits et ses rues où l’ombre nocturne traçaient quelques rares raies sinueuses. Il observa ensuite la disparition régulière de l’éclairage public et des enseignes lumineuses, diluées par un ciel doux et sans nuages. À la bonne heure ! Comme aurait dit Mireille, l’amie de sa maman, qui partageait à ses côtés une retraite tranquille dans une petite maison de village avec jardin, en Bourgogne. Elle avait à cœur de toujours apprécier la vie et les événements, sous l’angle le plus rond. Tristan passa ses mains sur son visage, espérant par ce geste apporter un peu de clarté à ses idées noires. Mais sa raison ne possédait pas la même qualité immuable du jour nouveau : le boulet de la veille demeurait. Sombre, volumineux et pesant. Pas de visite au marché de Rungis. Pas de restaurant pour s’isoler et se divertir, s’offrir l’éventualité d’une étincelle salvatrice. Son esprit, qui ne supportait pas l’oisiveté, envisageait le bouleversement de son emploi du temps comme une lourde menace d’angoisse. Mais songer à Mireille le força à projeter sa journée et sa semaine différemment. La perspective de prendre le train et de rejoindre les deux amies pour quelques jours à la campagne lui parut un excellent subterfuge pour occuper son temps, et repousser les relents d’un crime dont il aspirait à s’éloigner le plus possible. Il ne lui vint pas à l’esprit qu’il pourrait en profiter pour évoquer avec sa maman la période « Voltaire ». Non, il pensa plutôt, qu’à cette époque de l’année, les asperges sauvages pointaient leurs crêtes tendres, et que ma foi, une récolte tranquille, puis la réalisation d’une omelette aux œufs frais seraient le meilleur des baumes pour oublier un temps cette macabre histoire. Il posa sa tasse vide à côté de son ordinateur et pianota rapidement sur la page internet pour réserver un billet de train. Départ dans deux heures. Gare de Lyon. Délai amplement suffisant pour se préparer, prévenir Antoine, afin qu’il se charge d’accueillir l’équipe d’hygiène et veille à la qualité du nettoyage de leur restaurant. Tristan était sous sa douche quand son portable raisonna, solitaire, sur la table de la cuisine. Il rata un second, puis un troisième appel, tandis qu’il s’attardait dans sa chambre pour se vêtir, puis chargeait un sac de voyage pour un déplacement de plusieurs jours. Il prit un temps fou pour remettre la main sur son MP3 qui contenait sa discographie complète, dont il n’avait toujours pas transféré le dossier, sur son iPhone qui poursuivait sans relâche son grésillement à l’autre bout de l’appartement. Enfin prêt, il s’échappa de son appartement et dévala les escaliers. Pour revenir sur ces pas, trois étages plus tard. Car au moment d’atteindre le hall d’entrée, tâtonnant les poches de sa veste à la recherche de son téléphone pour joindre Antoine, il s’aperçu qu’il avait oublié l’objet quelque part, mais où ? Il parcourut son appartement en long et en large, pestant sur ces engins minuscules qui possédaient le don naturel de disparaitre, au moment où l'on en avait le plus besoin. Il repéra enfin le bidule noir et rectangulaire, abandonné sur la table de la cuisine et, sans un regard sur l’écran, il déverrouilla et effleura la touche d’appel automatique « ma moitié ». Antoine à cette heure matinale était encore au lit.


- Salut, je te dérange ?


- Mouais, non, queskiy’a ?


- J’ai besoin que tu réceptionnes l’équipe de nettoyage pour le restau, ce matin à dix heures. Tu veux bien t’en charger ?


- Je peux dire non ?


-Pas possible. Je prends le large pour quelques jours chez ma mère, mon train part dans une heure.


- Bon…alors je dis oui. Tu reviens quand ?


- Je ne sais pas


- Je ne sais pas, moi non plus, pourquoi je t’accepte comme pote.


-Parce que tu es ma moitié, Antoine. Allez bouges toi, à mon retour je te préparerai mon fameux cheese-cake pour te remercier.


- Mouais bon, si tu en appelles au cri du ventre…tient, au fait, pendant que j’y pense. Oriel propose que tu passes un soir à la maison, pour diner avec nous.


- Qui ?


-Oriel, mon amie. Tu l’as rencontré hier au café. C’est dingue, comme tu ne retiens aucun prénom ni visage de fille !


- Hier, c’était une journée un peu spéciale...Un diner ? Oui, pourquoi pas, mais je n’ai pas de date précise à te donner…


-Ben…quand tu es de retour, c’est tout. Tu débarques et Oriel cuisine un truc. De toute façon, je la préviens que tu passeras certainement à l’improviste. Et pas de panique, elle se débrouille très bien aux fourneaux.


Et Antoine disparut. L’essentiel avait été communiqué, échangé, convenu. Affaire conclue. Tristan qui connaissait le bonhomme ne s’en offusqua pas, même si, comme chaque fois, il avait le sentiment de se faire piéger. Mais peut-être était-ce là le seul moyen qu’avait fini pas trouvé son ami pour l’obliger à ne plus se dérober en permanence ?


Sa capacité exceptionnelle au déni, sa hâte de s’affranchir des contrariétés de la veille, et par surcroit, la musique d’Esbjörn Svensson Trio qui saturait avec bonheur ses oreilles jusqu’à son arrivée en Bourgogne, permit à Tristan d’être rattrapé par les événements, beaucoup plus tard. En milieu d’après-midi. Lise, sa maman, heureuse de le voir surgir à l’improviste l’embrassa comme s’ils s’étaient simplement quittés la veille et, comme à son habitude s’employa à le débarrasser de tous ces tracas. À la bonne heure, ponctua Mireille, ravie de l’agitation soudaine. Puis, à l’unisson, délesté de sa valise et de sa veste, elles le chassèrent dans le jardin afin qu’il s’enfile le bon vent, et chasse la poussière parisienne de ses poumons. Assis sur un banc, un gros chat roux lui tenant compagnie dans le petit jardin agréablement fleuri, Tristan appréciait l’instant. L’air embaumait les premiers pollens, l’acidité tendre de l’ail nouveau, qui affleurait près des murs, et le parfum de banane verte de l’herbe humide, quand sa mère apporta son téléphone, faisant fuir le chat étendu de tout son long sur ces genoux, brusquement dérangé pendant sa sieste au soleil.


- C’est pour toi mon grand. Une dame de Paris très polie. Elle me parait tout à fait charmante…


C’est ainsi que Tristan Lézard prit connaissance très tardivement, du second meurtre. Mademoiselle Élodie Donnat, jolie serveuse du bar-tabac « le Mauri7 », rue du Faubourg Saint-Denis, avait été retrouvée ce matin chez elle, nue, partiellement brûlée, et entièrement épilée. Excepté ses longs cheveux, demeurés intacts. La commissaire conservait son calme pour l’informer des circonstances, bien qu’elle eu tentée à plusieurs reprises au cours de la journée, de le joindre sans succès. Plus courtoise qu’à son habitude, mais peu loquace, elle requerrait sa présence toute affaire cessante sur Paris. Tristan ne sut comment le formuler, mais ce ton aimable et soigné ne le rassurait absolument pas. Il raccrocha, déstabilisé et choqué, et s’attarda de longues minutes au soleil, vissé sur son banc. Il décida finalement de prendre le premier train le lendemain, en espérant que le Dieu Pan ne ferait pas une nouvelle victime au cours de la nuit.


….à suivre



Clin d’œil à Clémentine, personnage qui intervient dans plusieurs romans de Fred Vargas, et qui a inspiré le personnage de Mireille.

1 commentaire:

  1. Superbement écrit et dès le début ! Des fois c'est un peu cahotant le démarrage mais là tout de suite dans le rythme ! Suis trop contente de vous lire si vite, même eu un frisson en apprenant le second meurtre ! Ah vous le tenez bien votre bouquin, réjouissant ! Bon week end Sunny Side

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