jeudi 7 janvier 2010

Mandarines du jardin

« J’ai descendu dans mon jardin, pour y cueillir du romarin… »
Souvenirs d’enfance et chansonnette sur les lèvres, tandis que je chemine sur le sentier qui borde les terrasses du terrain en espalier où demeure ma tribu du Sud, dans la province de Grasse. La journée décline rapidement. Dès 16h30 le brouillard monte de la vallée en contre bas, et teinte les environs d’un halo bleuté un peu terne. Ces derniers jours la région ressasse une rengaine Irlandaise, entre bruine fine et longs nuages sombres. Le sol est spongieux sous mes pieds, les odeurs grasses. Les figuiers sont chauves, dépourvus de sève odorante, mais l’herbe, exceptionnellement luxuriante, libère un arôme de banane sous mes pas. Le plaqueminier aux rameaux funèbres, exhibe ses merveilleux fruits ronds et cuivrés, comme des pampilles sur un arbre de Noël. Les oliviers sont nets : les olives noires et charnues ont été récoltés avant les fêtes et, emportées au moulin pour être broyées, pressées puis transformées en huile. Les filets de ramassage d’un orange bien voyant, déployés sur le sol pendant des semaines, ont été méticuleusement nettoyés et enroulés momentanément aux pieds des troncs gris et noueux. Dans quelques jours, lorsque le calme sera revenu dans le hameau, les filets seront hissés au cœur de l’arbre et entremêlés aux branches, afin d’être à l’abri de l’humidité du sol et des rayons du soleil, où ils attendront la saison suivante. Cependant, l’odeur caractéristique demeure encore, provenant sans doute de quelques olives oubliées, écrasées et dispersées alentour. Un fort relent de cambouis, de crasse capiteuse et de charbon, qui hésite entre douceur et amertume, sensualité et raideur. L’odeur de Noël, en Provence, bien plus éloquente dans ma mémoire, que celle des treize desserts…
Quelques planches* en dessous, j’aperçois la crête des différents Hespéridés, alignés sagement à l’abri du haut mur de pierres sèches qui réfléchit la chaleur du pâle soleil hivernal. Je passe devant un Citronnier robuste, qui cambre sa ramure sous un nombre considérable de fruits parvenus à maturité. Un Oranger doux, dont la production n’est pas encore tout à fait comestible, puis un Bergamotier, cultivé pour le plaisir d’humer son parfum d’agrume, élégant et complexe et, enfin, petit et gracile, un Mandarinier. Au passage je chaparde une feuille de chaque arbuste que je froisse ensuite entre mes doigts. Enfant, je m’amusais à reconnaitre l’arbre, caché derrière le parfum de la feuille. Je ne pense pas réussir aussi bien aujourd’hui, car la mémoire olfactive émousse les nuances subtiles et façonne parfois la réalité, pour l’embellir…Ainsi je me rends compte en approchant ma main de mon visage, que l’odeur de la feuille de citronnier est plus métallique, un peu aigre et, moins savoureuse que dans mon souvenir. Pourtant j’avais noté dans une boîte à méninge : muscade, fleur douce, miel et sève amère. Muscade vient de s’évaporer, remplacé par épinard et papier aluminium !

Bon.
Ce n’est pas tout, mais si je suis descendue jusqu’ici, au bout du jardin, à me geler les miches, ce n’est certainement pas pour évoquer uniquement l’enfance du petit parfumeur en herbe, mais bien poussée par une gourmandise irrésistible.
Sécateur à la main, je lorgne les rondeurs prometteuses des mandarines, qui illuminent telles des lanternes chinoises, le feuillage sombre du petit arbre. Clac ! Et le fruit vient se loger parfaitement dans la paume de ma main, comme un chaton en pelote. Mes doigts se referment sur le petit trésor odorant et généreux. Je porte mon poing fermé à mes narines et, savoure le souffle qui s’échappe de l'écorce. Il n’est pas sucré, mais froid. La mandarine distille l’odeur du jardin en hiver. Un parfum de terre, mêlé à celui des cendres de cheminée, répandues pour fertiliser le sol. Exhalaison minérale et douce, à peine boisée. Il faut gratter la peau lumineuse, pour entendre toutes les tonalités de son chant parfumé. Aigus et graves.
Rhubarbe ; figue blanche ; ronces, pissenlit et roquette ; berlingot, sirop de sucre de cannes ; fèves, fraichement écossées ; tomates concentrées, en tube ; vitamine C, effervescente; allumettes ; persil, thym et pétales de roses...
Je plante un ongle dans la chair souple et je sens les infimes gouttes d’huile essentielle jaillir des aspérités de la peau grumeleuse pour humecter mon pouce d’un effluve amer et vif, astringent. Acéré comme une petite râpe.
Apparition de l’enveloppe blanche et filandreuse, sans odeur. Je détache en douceur un croissant de pulpe savoureuse et je prends le chemin du retour, en silence, car on m’a toujours expliqué qu’il n’était pas convenable de s’exprimer la bouche pleine…
* terme employé pour désigner la "tranche" de terrain entre deux murs de pierres sèches , qui à la façon d'escaliers, découpe les collines cultivées, dans la région Grassoise

10 commentaires:

  1. Je vous souhaite une bonne année 2010 :) Quelle chance d'avoir un tel jardin! Je trouve l'odeur des agrumes essentielle à Noël, elle offre un merveilleux contre-point aux autres odeurs plus chaudes, plus lourdes, des maisons à cette époque de l'année.

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  2. Google Translater tell me it is about Mandarin Garden, isn't it?) What I think, in this year should be very popular citrous perfumes because of economic depression. What are citruses? Sun, good mood, childhood! I bought one yet! It's name Bergamot)

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  3. Très jolie évocation de la Provence en hiver à travers ses senteurs, un régal comme d'habitude !
    Dans la région aixoise, les "planches", on les appelle des restanques.

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  4. Bonjour Sakura,
    Ah ! la reprise du rythme est difficile :)) Pardon pour les réponses tardives, je me suis laissée déborder !
    Oui j'ai de la chance que ma famille possède ce jardin. Je n'avais plus goûter de mandarine prélevé sur l'arbre depuis des années !
    Mon grand père élevé également dans le Sud m'expliquait qu'il recevait en cadeau précieux à Noël une orange...les temps changes et pourtant les saveurs restent !

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  5. Hello Alex,
    Citrus are very fresh, always young and light. But they can be very expensive too if the essential oil is a very good one. Of course you have the lemon for the soap (synthetic in general)and the fresh lemon juice for very nice fragrance...Bergamot is one of the most elegant.

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  6. Bonjour Gnou,
    Chaque région à son langage, et dans le sud c'est toujours amusant de les comparer !! ;)

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  7. Bonjour Céline,

    Mes parents élévés en Touraine, me disaient qu'ils recevaient une orange à Noël. C'était le seul moment de l'année car les communications dans les années 30-40 n'étaient pas celles d'aujourd'hui. Cette orange devait avec une saveur unique, exotique!Et moi à la maternelle le père Nöel nous apportait toujours des cléméntines et des crottes en chocolat(on disait comme ça chez nous!). Finalement sans avoir de jardin des hespérides, les agrumes oranges évoquent beaucoup de souvenirs et c'est toujours avec joie que j'épluche ma première cléméntine de l'année!

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  8. Bonjour Céline,
    Avant tout, meilleurs voeux pour 2010! Bonheur, santé, et réussite dans tes projets!
    Et surtout merci pour tes jolies histoires parfumées! Mes commentaires sont rares mais j'apprécie énormément de te lire... le plus souvent je ne vois juste pas trop quoi ajouter! Mais toujours le même sentiment de sentir ce que tu racontes!
    Moi aussi, ma grand-mère m'a parlé des oranges qu'elle recevait à Noël dans son enfance... une autre époque, je n'ose même pas imaginer comment réagiraient les enfants d'aujourd'hui devant un tel cadeau!!!

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  9. Bonjour Alice,
    Je me rapelle avoir reçu également dans un sachet plastique offert par le Père Noël Suisse ( à cette époque je vivais à Genève) quelques chocolats et une mandarine. En général on prenait les chocolat et on donnait le sac avec la mandarine à nos parents...pour plus tard !

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  10. Bonjour Sabine,

    Meilleurs voeux à toi également : douceur lumière et petis bonheurs ( des grands aussi, pourquoi pas !;))
    Je pense que le cadeau de l'orange à Noël de nos grand parents conrrespondaient à une époque, car mon grand père qui vivait pourtant à Grasse, me contait la même histoire. Ce qui m'a toujours étonné puisque la région regorgeait d'agrumes...aujourd'hui je pense que tout ces fruits étaient reservés à l'industrie et à l'export. Les oranges et les mandarines étaient sans doute trop chères pour la majorité des gens, pour une consommation quotidienne. Mais je ne suis sure de rien...mon grand père ne m'a jamais donné d'explication, excepté pour me faire comprendre que notre génération etait très gaté !

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