mardi 4 août 2009

La laverie

Dimanche. Un bon jour pour nettoyer son linge sale en public dans une laverie où l’odeur de propre domine. Odeur impalpable, mais visiblement de notre époque. Comme le décor, impersonnel et sans bavure. Néons blanc et sièges en plastiques thermoformés rouge. Carrelages blancs et énormes engins rouges, percés d’un large hublot où l’on peut contempler sans fin, nos dessous sans dessus dessous. Je comprime rapidement mes vêtements dans la gueule du molosse rectangulaire. Bien gentiment il avale tout sans rechigner. Je n’achète pas la lessive sur place. J’apporte ma dose personnelle : l’odeur que j’accepte sur mes vêtements. Je veux bien partager le lave-linge, mais je refuse de sentir le blanc public. Je choisie mon odeur de propre, puisque je n’ai pas décidé de mon odeur de peau.
La laverie de mon quartier est à deux pas de mon bistro préféré. En traversant la rue je rince mon nez à l’air libre avant de passer d’un lieu clos à l’autre. Je vogue ainsi du parfum ouaté du détergent, vers le remugle aigrelet du comptoir. Je quitte un espace olfactif neutre bien programmé, pour une zone de remous imprévisibles.
Les odeurs de lessives deviennent universelles. Comme le Coca Cola. C’est un code de bonne conduite, de bonne odeur accepté par tous et reconnu par chacun. Un «Cadeau Bonux» pour petits et grands toutes couleurs de peaux confondues : car le linge propre conserve une trace. Forte. Invisible. Pendant plusieurs jours. Pourtant personne ne dit être dérangé par ce parfum élaboré et vendu depuis plus de 30 ans par nos industries. Cela n’existe pas. C’est là, parmi nous, un point c’est tout. Et grâce à ces effluves tout le monde se rejoint dans une bienheureuse neutralité. Paramétré. Dans les clous.
Hors sentiers battus, le bistrot. Odeur d’humanité. Remous et désordres. Le propre ne fait le poids. Battus en brèche par les remugles d’alcool divers, les vapeurs sucrées de la bière, les miettes un peu rances des frites oubliées sur un coin d’assiette, le gras métallique de la cuisson du steak. Le café froid, le café chaud, la mousse du lait. Les poussières diverses, accumulées en strates sur les étagères, et qui conservent encore quelques traces de nicotines d’une autre époque.
Je regrette l’odeur de cigarette, parfois. Elle collait à mes vêtements propres. Je perdais mon odeur de peau, j’appartenais à une autre humanité. Celle qui prenait des risques. Hors clous.

2 commentaires:

  1. C'est vrai, l'odeur de la lessive fait tellement "partie du décor" qu'on ne la perçoit plus... Par contre l'odeur de mon propre linge fraîchement lavé chez un(e) ami(e), un parent, qui utilise une autre marque de lessive, me frappe voire me dérange...

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  2. Hé oui ce linge ne vous appartient plus en quelques sorte. On vous "chasse" de votre territoire, et il devient celui de l'autre!

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