lundi 24 août 2009

Métro 1

J’ai pris une décision étrange, reprendre le métro.
Je l’avais abandonné au profit d’une petite voiture élastique et automatique immatriculé EVA 92, Une voiture de pouf. Un an s’est écoulé et je me suis rendue compte que ma cervelle était petit à petit envahit de pensées agressives et étriquées. Que mes muscles rapetissaient et que mes fesses prenaient une drôle de forme évasées et, enfin et surtout, plus d’odeurs, plus de gens à regarder, à écouter. La voiture, bulle de ferraille, vous isole du monde, des autres et de la vie. Pas de nourriture affective dans une voiture. Plus de curiosité pour son prochain. Juste de l’impatience, quand cela ne vire pas à la haine tout court !
Donc je décide de reprendre le métro et de m’en mettre pleins les narines.
Pour un parfumeur c’est important : les autres. Je suis une voyeuriste des attitudes, des paroles, des gestes, des odeurs où se mêlent effluves de mangeaille, de shampooing, et celles plus sophistiquées de parfums. Tout fait signe. Je gobe. J’inspire. Je grimace parfois. Mais tout cela nourrit mon esprit et mes formules.
Je suis dans le métro.
Le bruit. Et puis : ça m’secou, ça m’secou, avec parfois cette impression d’être comme un coquillage accroché à un rocher, aggloméré et unit aux autres bulots, moules et bigorneaux, au rythme balancé des secousses de la rame qui trace son chemin souterrain. Ca m’secou, ça m’secou, et ce parfum d’humanité résigné qui flotte sous mes narines. Parfois je sens une résistance, un besoin de différence, une envie d’exister : un parfum de fleurs douces ourlées de soie, d'un peu d’iris grenu allongé de vanille, piqué de poivre blanc. Je sourie, j’aperçois à quelques coquillages de moi, une femme brune, bien maquillée, son écharpe colorée nouée juste sous son nez. Elle plonge dans sa propre odeur, celle de son parfum, elle évite ce trajet incontournable qui la mène au bureau, et ouvre sa propre fenêtre. Un sourire à peine dessiné flotte dans ces yeux. Le flacon lui a été offert par son amoureux, la veille : une fragrance douce, sans angle, ronde comme une balle, lisse comme l’oubli, qui remplace un peu les bras de son amant. Une odeur facile, pour la transporter jusqu’à la fin de l’hiver…

Chaque ligne de métro possède sa propre identité odorante. Chaque quartier de Paris aussi : La Défense souffle un certain parfum, le Quartier Latin propose une autre version. Matin, soir, 24h sur 24, sans parler des saisons qui déroulent leur tempo, Paris crée, propage, diffuse et traîne des odeurs différentes.
Au cours de mes pérégrinations je fais mon marché. Je capte des sons olfactifs. J’aperçois des odeurs. Je caresse des vapeurs plus ou moins fines, collantes ou rêches. Et mon imagination fait le reste.

vendredi 21 août 2009

Les Chips

C’est l’histoire d’un geste mille fois exécutés hiver comme été, par les petits comme par les grands: ouvrir un paquet de chips en un mouvement vif et déterminé. Pincez le sachet de chaque coté. Le papier aluminium proteste, émet un craquement annonciateur de plaisir croustillant. Puis coudes levés, perpendiculaires au corps, effet piston vers l’extérieur vous sentez encore une légère résistance. Enfin, un sifflement tout juste audible fuse et, soudain l’odeur s’échappe, empoigne votre nez dans un souffle bref, crée par un phénomène de pression et d’échange. Aussi sec, le cerveau pédale à perte, ne contrôle plus son émotion d’affamé. La suite, chacun la connait : augmentation du taux de salive ; papilles en paniques, à peines apaisées par le premier flocon salé. Jusqu’au geste de regret, qui clôture l’irrémédiable : sachet tête en bas, plus une miette ; flûte, j’ai soif maintenant.
Et pourtant… Lorsque je laisse trainer mon nez dans un sachet de biscuits apéritifs, quel qu’il soit, le fumet qui s’en dégage n’a vraiment rien de savoureux : vieille espadrille et gant de toilette oublié sur un coin de baignoire, enrobés de graisses déshydratées et de sel. Ensuite, il existe quelques variantes qui camouflent plus ou moins avec bonheur cette incontournable réminiscence de crasse éventée.
Les « TUC » possèdent un puissant parfum de mottes de beurres frais demi-sel, dispersées dans un champ de colza en fleurs, sous le soleil. Les petits fantômes dont mes enfants raffolent, les « Monster Munch » goût salé je précise, émettent une odeur très fade de semoule sèche relevé d’un soupçon de confiture d’abricot dilué dans un peu de lait. Les « Bretzels » sont beurrés comme un caramel au sel enrichi d’un effet carton. Certains « Pringles » bombardent vos narines d’éclats de tomates oubliées au four, de poudre de paprika sèche comme des rognures de crayon, d’oignons à l’odeur d’ail (ou est-ce l’inverse ?) adoucit d’un nuage de crème fraiche aigrelette. Les « Chipster » procurent le sentiment qu’ils ont été badigeonnés de Biafine.
Les « Curly » sont pouacres. Une odeur terriblement crue, rêche et stridente. De raisin vert et de chlore. De citron acide, et de bouée qui fait coincoin, oubliée dans le garage pour l’hiver. Mais cette opinion n’engage que mon nez, et moi.
Le goût, c’est une autre histoire. Un Curly déposé sur la langue fond et diffuse sa saveur, douce, rassurante et salée, de maïs torréfié avec ce fameux reviens’ y de beurre de cacahuète…D’ailleurs je suis certaine que vous avez déjà l’eau à la bouche rien que d’y penser ! Mais l’odeur ?
La prochaine fois, posez un nez-radar au dessus du sachet, et confiez-moi vos impressions !?

jeudi 13 août 2009

Métro 4

Métro Saint Paul un jour de plein été. Grosse chaleur. L’air vibre sous mes nu-pieds. La ville est engluée d’odeurs immobiles lourdes et poisseuses, dégagées par le bitume en fusion. Les immeubles transpirent par toutes leurs pores minérales, la végétation exhale une haleine d’assoiffée, les véhicules automobiles ventilent en surchauffe, et les piétons laissent des traces invisibles de lait caillé.
Pourquoi ce mélange d’odeurs disparates et peu séduisantes compose un parfum aussi sucré qu’une brioche criblée de fruits confis ?

Je ne sais pas
Je constate que chaque été au cœur du mois d’Août, au moment des plus grosses chaleurs, juste avant que les orages n’éclatent et ne rincent tout à grandes eaux, le parfum au centre de Paris atteint son point culminant entêtant, presque sexuel. Comme l’odeur de certaines femmes dans le creux de leurs mains au matin, celles parfois des hommes au creux de leurs reins, et celle de la sueur des bébés au creux de leur cou, à la naissance des cheveux fragiles. Quelque chose de doux, d’apaisant et en même temps d’un peu cracra…









mardi 4 août 2009

La laverie

Dimanche. Un bon jour pour nettoyer son linge sale en public dans une laverie où l’odeur de propre domine. Odeur impalpable, mais visiblement de notre époque. Comme le décor, impersonnel et sans bavure. Néons blanc et sièges en plastiques thermoformés rouge. Carrelages blancs et énormes engins rouges, percés d’un large hublot où l’on peut contempler sans fin, nos dessous sans dessus dessous. Je comprime rapidement mes vêtements dans la gueule du molosse rectangulaire. Bien gentiment il avale tout sans rechigner. Je n’achète pas la lessive sur place. J’apporte ma dose personnelle : l’odeur que j’accepte sur mes vêtements. Je veux bien partager le lave-linge, mais je refuse de sentir le blanc public. Je choisie mon odeur de propre, puisque je n’ai pas décidé de mon odeur de peau.
La laverie de mon quartier est à deux pas de mon bistro préféré. En traversant la rue je rince mon nez à l’air libre avant de passer d’un lieu clos à l’autre. Je vogue ainsi du parfum ouaté du détergent, vers le remugle aigrelet du comptoir. Je quitte un espace olfactif neutre bien programmé, pour une zone de remous imprévisibles.
Les odeurs de lessives deviennent universelles. Comme le Coca Cola. C’est un code de bonne conduite, de bonne odeur accepté par tous et reconnu par chacun. Un «Cadeau Bonux» pour petits et grands toutes couleurs de peaux confondues : car le linge propre conserve une trace. Forte. Invisible. Pendant plusieurs jours. Pourtant personne ne dit être dérangé par ce parfum élaboré et vendu depuis plus de 30 ans par nos industries. Cela n’existe pas. C’est là, parmi nous, un point c’est tout. Et grâce à ces effluves tout le monde se rejoint dans une bienheureuse neutralité. Paramétré. Dans les clous.
Hors sentiers battus, le bistrot. Odeur d’humanité. Remous et désordres. Le propre ne fait le poids. Battus en brèche par les remugles d’alcool divers, les vapeurs sucrées de la bière, les miettes un peu rances des frites oubliées sur un coin d’assiette, le gras métallique de la cuisson du steak. Le café froid, le café chaud, la mousse du lait. Les poussières diverses, accumulées en strates sur les étagères, et qui conservent encore quelques traces de nicotines d’une autre époque.
Je regrette l’odeur de cigarette, parfois. Elle collait à mes vêtements propres. Je perdais mon odeur de peau, j’appartenais à une autre humanité. Celle qui prenait des risques. Hors clous.