mercredi 23 décembre 2009

Grands Boulevards

Rue du Faubourg Montmartre. Noël. Des touristes désespérés ne trouvent ni peintres, ni Sacré Cœur. Tournent sur eux même, hésitent à demander leur chemin. S’égarent une nouvelle fois en tachant de dégoter le salvateur « vous êtes ici » sur la carte offerte gracieusement par les Galeries Lafayette. Pourtant, ils ont vérifié auprès de la réception avant de quitter l’hôtel : le Sacré Cœur est à Montmartre, Grand Dieu !
La carte, déployée comme un journal quitte soudain le regard abattu de l’homme et s’abandonne mollement sur le ventre rebondi. Le visage vire à gauche, à droite, perplexe sur la direction à prendre. A pieds ? En métro ? En Vélib ? Soudain, le nez débusque une odeur alléchante de crêpes, aussitôt percutée puis éparpillée par le vent qui s’engouffre toujours en piqué, au centre de cette rue qui grimpe jusqu’à Pigalle. Nous sommes au cœur de Paris. Chassé croisé de Grands Boulevards, où les voitures tracent un sillon odorant et bruyant, où les restaurants traditionnels nichés dans les petites rues perpendiculaires, mêlent leurs parfums complexes d’oignons sucrés, de farine, de viandes rouges, de vins simples et de vinaigrette acide. Parfois une bulle de gras roussi et de frite rance explose : c’est « Quick » resto des temps modernes, qui lâche un rot chaque fois qu’un client franchit son seuil.
Au cœur de l’hiver, le parfum de ce quartier sans cesse en mouvement est terriblement gourmand. Rassurant. Source de petits bonheurs simples. Il suffit de pister le chemin tracé par les effluves crépitantes des crêpes géantes en train de cuire. Le nez en avant, mes pieds suivent naturellement le mouvement, avec un léger temps de retard. Une allure à la Tati, mais sans la pipe. Voilà. C’est là, à l’angle du Boulevard Poissonnière. Une drôle de bicoque qui mord le trottoir et s’offre aux courants d’air. Je reste debout, le corps fouaillé par le vent, les mains cachées dans les manches de mon manteau, les pieds battant la mesure pour faire semblant de me réchauffer. Toute ma concentration suspendue à mon bout du nez, parmi les vapeurs des galettes qui dorent sur la plaque. J’attends mon tour. Et j’imagine le parfum de ma gourmandise : miel, amande, chantilly, jambon, confiture, fromage, Nutella. Oups, étranges mélanges…Enfin, je passe commande. Comme d’habitude. Un peu de citron et c’est tout. Exhausteur naturel. Pour savourer purement la chaleur de la crêpe, un jour d’hiver trop froid pour le bout de mon nez.
« Montmartre ? Ah mais mon pauvre monsieur, vous n’y êtes pas du tout. C’est tout en haut, au bout de cette rue. Prenez une crêpe auparavant, car la grimpette est longue. Joyeux Noël ! »

jeudi 17 décembre 2009

Première Neige

8h25 ce matin. Horaire incontournable pour tous les parents de jeunes enfants. Nous sommes en retard. Comme d’habitude. Heureusement l’école n’est pas loin, petite promenade pour le plaisir de glisser en trottinette pour ma fille et, de me réveiller tout à fait pour moi. Aujourd’hui, si vous êtes dans la région, vous avez remarqué qu’il neige. C’est enfin de saison. Avant de franchir le seuil de l’appartement, nous avons joué à l’oignon : une, deux, trois couches de vêtements, quatre cinq six, bonnet, écharpe et gants, sept huit neuf, on a plus le temps…!
Nous voilà enfin au rez-de-chaussée de l’immeuble, et je contemple le parvis enneigé d’un blanc encore immaculé. Dans la seconde qui précède le mouvement de ma fille, qui attrappe la poignée de la lourde porte vitrée de l’immeuble, je pense : ouvre ton nez, laisse-toi pénétrer de cette odeur fragile de première neige.
Elle est bien au rendez-vous. Délicate, croquante, à peine poivrée. Un peu rêche aussi, comme une caresse électrique liquide. Une brève sensation de neuf, comme lorsque l’on ouvre un livre dont la reliure croustille. Mais soudain elle m’échappe, et disparaît. Je ne la tiens plus, et n’en garde qu’un souvenir qui se dilue très rapidement, pour réintégrer un petit tiroir de ma mémoire, que j’ouvrirai une prochaine fois. Mais ce ne sera plus pareil. La surprise des retrouvailles sera passée, effacée.
En fait, notre nez baigné par la chaleur du foyer que nous venons de quitter, possède encore toute sa souplesse et sa sensibilité pendant les quelques secondes qui suivent nos premiers pas dans l’air glacé de la rue. Puis, comme un escargot qui s’est mis le doigt dans « l’œil », notre nez rentre dans sa coquille, se rétracte et se resserre, et ne laisse filtrer ensuite que les informations les plus grossières, les plus bruyantes.
Le parfum de la première neige reste un cadeau bref, éphémère, qu’il faut savourer comme la première fraise, ou « la première gorgée de bière » pour citer les « plaisirs minuscules » de Philippe Delerm.
A tous ceux qui ne sentent plus rien quand il fait trop froid !

lundi 14 décembre 2009

Le Grille Teint

Hiver. Froid glacial de saison. Belle journée lumineuse couleur de miel. Je décide de m’installer en terrasse d’un café, ce bord de trottoir dorénavant réservé aux fumeurs résistants. Tables minuscules, chaises en rotins, et grille teint fixés sous la toile de l’auvent, couleur de bon vin, qui pulsent à plein régime une vibration rose orangé brûlante. L’effet est immédiat : le crâne grésille, les pommettes surchauffent mais les pieds restent définitivement glacés, imprégné par le froid qui provient du sol. Le contraste olfactif me saute au nez. Hors de la protection toute relative du chauffage électrique, le parfum de l’air est métallique comme un couteau bien aiguisé. La sensation est brève, comme une décharge saccadée d’échardes minuscules aux saveurs de muscade, de Tabasco éventé, et de limaille de fer. Je pense également aux émanations qui s’échappent, lors des premières secondes qui suivent le flash de la photocopieuse.
Assise en rang d’oignon, parmi les autres consommateurs coudes au corps et clopes au bec, j’aspire les volutes qui circulent, se répandent et virevoltent mollement pour finir grillées par le toaster. Émoussées par la chaleur torride du grille- teint, les volutes grises du tabac habituellement âcres, prennent des accents douceâtres. L’odeur de cigarette est joyeusement ronde et mœlleuse, presque chaleureuse. Elle devient boisée, miellée comme du papier usé, parfois un peu caramélisé vanillée. Soudain une lichette de vent parvient à percer la muraille vaporeuse et pince brutalement mon nez. Je trouve presque un soulagement à absorber une bonne goulée de fumée chaude et toxique.
Autre phénomène étrange. Sous l’action de la chaleur artificielle, les eaux de toilettes de toutes ces personnes attablées s’évaporent rapidement. Elles enflent et éclatent comme des bulles de savon, dispersant des miettes sucrées et complexes. Onctuosité crémeuse, inattendue, pour un parfum masculin habituellement plus rude. Sensation de cuir, de réglisse yoyo et de sucre candi pour ce parfum féminin dont la vanille a pris un coup de chaud, comme oubliée dans le four ! Crème Nivéa enfin, soudainement montée en neige telle une meringue. Dernier constat. Si je me mets de profile, j’ai une narine qui aspire l’air chaud savoureux, tandis que l’autre piquée par le froid vif et sec, devient presque insensible. Sensation amusante et déroutante car elles ne se mêlent pas. Le coté froid n’absorbe aucune odeur de tabac, statut RAS. Le coté chaud est badigeonné de nicotine fruitée et d’eaux de toilettes caramélisées.
Non, vraiment je ne pensais pas tomber nez à nez avec autant d’expériences inédites, en dégustant un simple café en terrasse un jour de plein hiver, à Paris, rue des Abbesses

Pour les Pieds Nickelés de Montmartre et nos "cafés" au St Jean

lundi 7 décembre 2009

Boite Noire

J’ai savouré ce plaisir rare. Nez sur l’évidence.
Curiosité de jeune provinciale pour l’événement parisien incontournable de la saison, j’ai exploré la FIAC, voici quelques années. J’ai ainsi connu l’immense privilège d’errer au long d’interminables couloirs de moquettes grises, entre des stands glacés emplit du bourdonnement des voix pondérées. Angles droits, cloisons fines et blanches auxquelles étaient fixées, les œuvres, qui inspiraient commentaires et spéculations. Je remarquais également des personnages très élégants, leurs longs doigts délicatement posés sur les lèvres, leurs visages graves, animés d’un hochement pensif en contemplant quelques tableaux. Quand à moi, je ne voyais rien. Pourtant, à quelques pas de la sortie, je suis tombée sur un mur noir. Mouvant. Chaleureux. Apaisant. Et je me suis fais cette réflexion, au bout d’une bonne minute de contemplation muette et déjà amoureuse : « ce jeune homme ira loin, il a comprit… ». Le jeune homme en question, je ne le savais pas à cette époque, se nommait Pierre Soulages, comptait déjà 72 printemps, et était reconnu depuis la fin des années 40. Pour moi, il était tout neuf, tout beau, et j’avais envie de le poser dans mon salon pour l’admirer sans vergogne et, l’écouter me raconter de belles histoires noires. Mais, déjà, il était totalement inaccessible…J’étais née bien trop tard.
Presque 20 années sont passées, et Soulages de toute façon inabordable n’a point franchit mon pas de porte. Donc, je vais à lui. Au Centre George Pompidou en ce moment, où, heureuse de l’abondance et de l’espace, nécessaire pour admirer à loisir ses noirs, je déambule et contemple en silence le « jeune homme », qui ne cesse jamais de chercher et d’offrir.
L’exposition est organisée comme un labyrinthe, avec en fin de parcours, une boîte blanche qui parle. Je m’approche d’une des portes latérales, occultée par de lourdes lames en tissus vernis, et découvre une salle de projection. Pierre Soulages explique à la caméra, d’un large mouvement de bras, sa méthode de travail. Je pénètre avec précaution à l’intérieur car je ne distingue absolument rien, et crains de piétiner quelques spectateurs assis en tailleur à même le sol. Je devine sur ma gauche un pan de mur libre, et me glisse adroitement entre deux personnes appuyées contre la cloison, concentrées sur l’image qui défile. Quand à moi, je ne vois rien. A peine si je capte un son. Toute ma concentration est soudainement vissée à l’odeur qui imprègne cet espace sombre et clôt. Nous sommes nombreux. Les plus chanceux sont assis épaules contre épaules sur les quelques bancs disposés devant l’écran. Les plus souples sont réunis en grappes sur le sol, de part et d’autre des deux entrées fermées par les rideaux, les plus endurants restent debout, dispersés dans les coins. La température est élevée. L’atmosphère humide, serrée entre un plafond obscur et une moquette noire, assez épaisse pour amortir le bruit des pas. Je suis au cœur d’un ventre noir et tiède, saturé d’effluves immobiles qui forment une odeur unique, car j’ai énormément de difficultés à distinguer et séparer chaque informations, en raison de l’absence de courant d’air. A cet instant, coïncidence ou choix du réalisateur lors du montage, Soulages nous regarde et s’exclame « il fait chaud, non ? » et retire sa veste. La salle glousse, complice, et les corps s’agitent, provoquant une légère turbulence. Une saute de vent que je capture. Je perçois alors des fragments d’armoise, des copeaux de bois de cèdre, un chapelet de graines de coriandre ou de carvi, un rameau de feuilles vertes délicieusement frais, un fouillis de lianes humides, des fibres de coton, un bonbon à la violette, une mesure de levure boulangère, trois brins de lavande, un soupçon de vétiver qui ressemble à de la réglisse noire ( peut être est-ce l’inverse ?), de la pâte d’amande, du savon traditionnel, l’odeur incontournable des fesses chaudes posées sur des sièges en plastique, celle fine et moite produite par les haleines. Pour finir, l’arôme de la chlorophylle échappée de deux ou trois ruminants discrets. Soulages poursuit son explication à propos de l’outrenoir. Comment le noir, offre toute sa diversité et ses tonalités au frôlement de la lumière : lorsque le regardeur se déplace autour du tableau, le noir change, et pourtant « c’est fait avec le même noir ». Je me rends compte que je suis confinée dans une boite noire, où tous les miasmes forment une boule compacte impénétrable. Ce lieu obscur concentre une fragrance singulière, en apparence homogène, formée par les visiteurs de passage qui abandonnent sans embarras leurs empreintes olfactives, et l’ajoutent aux précédentes. Seul le mouvement des personnes qui entrent ou qui sortent, qui cherchent une place en créant un remous, me permet de capter quelques nuances, comme un « reflet, sur les états de surface de la couleur noire ». L’analogie avec les paroles du peintre m’amuse. Cette sensation d’être « attentive » à ce magma odorant uniforme qui offre une infinité de possibles, aux hasards des trajectoires et des superpositions qui s’étirent sous mon nez, plongé dans le noir.

Pierre Soulages:
Quelques citations glanées lors de l'expo.
« Le noir a des possibilités insoupçonnées et, attentif à ce que j’ignore, je vais à leur rencontre »

« Si l’on trouve que ces peintures sont seulement noires, c’est qu’on ne les regarde pas avec les yeux, mais avec ce qu’on a dans la tête ».

« C’est ce que je fais, qui m’apprend ce que je cherche » -1953-

jeudi 3 décembre 2009

Après la pluie

L’autre jour dans le métro j’ai pleuré.
Rien de bien grave, une matinée un peu difficile. De l’orgueil froissé, un peu de découragement, et l’envie d’être quelques instants Caliméro. Lorsque l’on pleure dans le métro on n’est pas seul, mais tout le monde vous ignore gentiment. Par pudeur. Je ne suis pas la première qui sanglote en silence sur la banquette, et en général tout ce passe bien. Le métro permet de verser une larme sans solitude, au creux des autres, sans être dérangé par une sollicitude déplacé, inopportune, ou hypocrite. Un vrai chagrin par contre peut gêner la foule indifférente, qui ne sait si elle doit vous prendre dans ses bras ou vous ignorer davantage. Et en général personne ne tente rien, on ne sait jamais. Pourtant, je me souviens avoir donné un paquet de kleenex à un jeune homme, qui se noyait dans sa morve comme un naufragé. Le sachet lui est tombé dans les mains, tel une boué. Je n’ai pas résolu son malheur, il a simplement abordé au sec une rive meilleure …
Lorsque l’on pleure, on a beaucoup de difficultés à sentir. Je ne vous apprends rien. Trop de liquide, et surtout, toute l’attention portée sur son nombril, non vers les autres. Le nez est en boucle fermée. Lorsque le chagrin, les larmes et les mucosités sont enfin évacuées, le nez est tout neuf, tout propre. Et là, c’est très bien. Pour les gens bizarres comme moi.

Dans le métro après mes larmes, je me suis arrangée pour que mon nez soit pimpant, au moment où j’ai émergé à l’air libre, place du Palais Royal. J’ai humé la pierre du Louvre légèrement acide, les facettes édulcorées des longues affiches plastifiées qui déroulent leurs annonces, au dessus des arcades marquant l’entrée du Musée. La pluie venait de s’interrompre, si bien que la ville était rincée, comme mon nez. J’ai porté mes pas sous le porche central du Louvre. Brève odeur un peu rance, des multitudes de couches de déjections des voitures qui s’accumulent depuis des années, et celle rude et piquante d’urine humaine. Retour rapide à la lumière, sensation étonnante de chaleur, et de moiteur ; le soleil revenu, l’humidité du sol s’évaporait en volutes parfumées depuis la cour et les jardins. Puissante odeur des bordures de buis au parfum caractéristique de pisse chaude, de chat mâle qui marque son territoire : sucrée et fruitée comme la liqueur de cassis, boisée et sèche comme l’ortie. J’ai hésité entre poursuivre mon chemin vers les jardins, ou pointer mon nez vers la Pyramide. Les effluves du palais ont finalement emporté ma préférence. J’ai soudain pénétré au cœur du monde touristique grouillant. Fouillis aromatiques et poisseux de chewing-gums. Magma odorant de cheveux mouillés, de crème solaire, de transpiration saine à l’odeur de schweppes ou de carvi. Remugle amère et poivré des baskets à grosses semelles en caoutchouc. Emanations un peu acide des anoraks humides, associés en contre point aux tee-shirts en coton blanc, à l’âpre saveur de calcaire.

Paris cet été, centre de l’univers touristique….
J’ai oublié Caliméro
J’aime bien cette humanité odorante.

jeudi 26 novembre 2009

Crème Anti-ride(s)

Réflexion de salle de bain.
Je me contemple dans le miroir, et mes pensées prennent un tour d’actualité.
Je ne rajeunis pas.
Ce n’est pas nouveau. Comme certaines dates commémoratives qui reviennent épisodiquement, voilà que me tenaille le besoin rebattu mais exigeant, d’une crème miraculeuse à la consistance lisse, comblante, au parfum de certitude.

Quelques stations de métro plus tard, j’émerge sur le trottoir d’un Grand Magasin, dans les environs de Noël. Lumières œillades, guirlandes aguicheuses, et appel du pied des vitrines magiques. Indifférente à ce déballage précoce des fêtes de fin d’année, j’agrippe la poignée de la lourde porte vitrée et je suis soudain soufflée par l’afflux d’air chaud, prisonnier du rez de chaussé. Parfum moite d’humanité, combinaison aléatoire des dernières eaux de toilettes vendues en vedettes sur des podiums disséminés, remugle de tous les cuirs faux ou vrai du rayon maroquinerie, je ne sais plus où donner du nez ! J’avance dans un raz de marée olfactif, parmi les remous de la foule nerveuse et affairée, dont les corps vibrent en position surchauffe, sous une couche de vêtements prévus pour un froid extérieur.
Noël, dans ma mémoire courte, sent la cannelle, le chocolat chaud, parfois le marron glacé, surtout le pudding Irlandais, et depuis peu, le sapin de la forêt Ikea. Mais je dois me rendre à l’évidence, ici, dans ce temple de la consommation débridées, Noël ressemble à une immense fournaise capiteuse. Quel bordel ! Oups,...pardon. Cela m’a échappé. Bien, reprenons nos esprits. Je retire d’abord mon manteau, afin de baisser mon niveau de température, et je profite de ce moment de distraction pour faire le vide dans mon nez : je soupire doucement, bouche close. Instantanément, toutes les informations inutiles qui ne nécessitent pas d’être analysées, répertoriées et disséquées par ma boîte nasale, reliée à mon petit cerveau véloce, sont évacuées. Je redresse les épaules, en prenant une goulée d’air tiède, lèvres juste ouvertes, comme pour un baiser. Pensées sans nuages, nez clair. Vent calme. Fin de tempête. L’horizon dégagé, je poursuis ma traversée, sereine, vers les stands exhibant les marques de cosmétiques célèbres. En chemin, je joue avec quelques découvertes suaves, capturées au détour des comptoirs des parfumeurs. Quelques alliances surgissent, pertinentes, cocasses, mais la plupart demeurent sans élégance. On frôle l’absurde et la saturation.
Hésitante, je choisis un stand aux allures rigoureuses et épurées. La demoiselle s’approche, sourire discret et attentif sur un visage d’un naturel parfait, emblématique de ce style impalpable, mais terriblement sophistiquée du maquillage « nude ». Elle n’hésite absolument pas, et me propose la crème indispensable pour lutter contre les sévices irrémédiables du temps, qui passe sans vous demander pardon. Elle prélève une noisette du produit et la dépose délicatement sur le dos de ma main. Sans réfléchir, je la porte à mon nez et grimace aussitôt. Le parfum est terriblement puissant et complexe. Il évoque des matins mouillés couleur d’aurore, quelques nymphéas…ou plus simplement , des rondelles de concombre, ou de la chair de melon vert. Les angles sont droits, la lumière translucide, le son subtilement strident. Par contre la texture est séduisante : fluide, onctueuse, d’une belle couleur ivoire pâle. Mais, j’ai beau renifler ma main, je n’arrive pas à convaincre mon esprit que c’est la solution à mes préoccupations épidermiques.
La fragrance n’est tout simplement pas assez riche, ni charnue, chaude, moelleuse, paresseuse et veloutée. La crème proposée possède certainement des qualités anti-relâchement et tutti-comblement, mais le parfum frais, un peu raide, qui s’en dégage, me suggère d’être simplement hydratée et, la peau, peut être, un peu retendue. De toute évidence, me voilà surprise en flagrant délit de succomber au piège de l’effluve placebo. Ah ! Comme notre inconscient olfactif nous enferme dans ses codes prêt-à-porter ! Un joli pied de nez à ma démarche anticonformiste, et mes grands discours sur la modernité…je ne suis même pas fichus de convaincre ma propre cervelle de professionnelle!!
Car c’est ainsi. Malgré notre superbe clairvoyance et notre connaissance de plus en plus fine et insatiable des divers composants, nous persistons à être doucement menés par le bout du nez, au détour d’un parfum invisible incorporé à une base galénique vertueuse. Sans y toucher, nous apprécions tel crème, lait corporel ou baume, pour son odeur caractéristique, et conforme à l’attente de certaine performance. Ainsi au fil du siècle, nos cosmétiques, autrefois simplement aromatisés à la rose, ont révélés depuis, des formes de plus en plus précises, avec des étiquettes clairement établies. Chaque peau, chaque âge, chaque préoccupation dermatologique possède aujourd’hui son petit casier, ornementé d’une définition olfactive. En règle générale, une composition fraiche et transparente est destinée à une peau jeune, tandis qu’un bouquet floral, opulent, discrètement « sucré », convient aux peaux matures. Légèreté et simplicité s’oppose à confort et sécurité. Bien sur, le casier est ensuite divisé en nombreux compartiments où l’on distingue les signatures des Marques, et des genres : bio, naturel, expert, masculin, féminin, minéral, végétal, méthodique, empirique, sérieux, amusant... Hé oui, le mot « amusant » contient une odeur ! Celle qui vous fait sourire et détend vos traits, quand vous appliquez en gestes rapides votre soin quotidien. D’abord, vos doigts glissent sur votre visage et vous éprouvez la texture souple et rassurante, puis, votre nez enregistre les effluves sans vous demandez votre avis et, aussitôt un sentiment de bien être vous envahit. Et hop ! Oublié, les rides…jusqu’au lendemain !

mercredi 18 novembre 2009

Lendemain de fête.

Ne me demandez pas à quelle heure je me suis couchée.
Je peux simplement vous dire que quelques heures raisonnables plus tard, je me suis levée. J’ai enfilé mes vêtements imprégnés de nicotine encore fraiche et, quittant ma chambre qui sniffait le dodo des ronfleurs discrets, j’ai, d’un pied un peu hésitant et agrippant le garde-fou chantourné, glissé au bas de deux étages d’escaliers serpentins, du majestueux château où nous nous étions une bonne centaine, réunit pour le week-end.
Nous avions débuté en fanfare, le vendredi soir.
Nous avons clôturé enthousiaste, ce dimanche matin.
J’ai atteint le rez-de-chaussée, froid, nimbé d’une lumière d’un gris pâle sans saveur. Envahit d’une sensation étrange, l’œil vague, proche sans doute d’un somnambulisme conscient, j’ai éprouvé le vide et le silence soudain. Evidemment mon nez fonctionnait, et l’air de rien la bécane enregistreuse a immédiatement absorbé et analysé quelques relents de cheminées assoupies. J’ai savouré les soupirs de résines calcinées des dernières bûches achevant de se consumer, brandons paresseux, abandonnés, émanations âcres et cependant réconfortantes. Les cendres, poussières ténues, dégageaient une odeur fine, douce et veloutée, légèrement amère et apaisante. La chaudière du château, comme nous l’avions découvert à notre arrivée, ne fonctionnait pas. Qu’à cela ne tienne, quelques pyromanes, heureux hommes, se sont empressés de jouer au mikado : bûches et allumettes. Activités viriles et senteurs d’autrefois, en parfaite harmonie avec ce lieu qui semblait dédié à quelques beaux Mousquetaires...
Je me suis dirigée vers la cuisine, en mode automatique, me rappelant qu’il me fallait franchir trois salles monumentales. La température avait chutée, et derrière le fumet des cheminés, je sentais le remugle des dalles froides, jonchées de débris à peine identifiables. Une brume insaisissable composée des fluides corrodés des couches de vernis successifs, des poussières fossilisées, et des particules de dorures fanées, voilaient les portraits en nombres considérables d’ancêtres inconnus. Bizarrement, ce pot-pourri m’a fait subitement songer aux boulettes de colles que nous façonnions et tripotions interminablement, entre nos doigts sales d’écolier. En passant près des portes fenêtres donnant sur les jardins, j’ai perçu le parfum du temps qui passe, prisonnier des longs rideaux damassés, ce reliquat de poudre de riz rancie, propre à toutes les vieilles demeures peu fréquentées et mal aérées, inexplicablement reposant. Au seuil de la seconde salle j’ai croisé, un ballon de rouge inachevé à la main, l’ultime noctambule qui s’en allait rejoindre d’un pas nonchalant, son matelas. Dénouement du sentiment précieux de sa solitude, il laissait sa place de gardien de l’aube aux nouveaux venus à peine éveillés, pour sombrer à son tour. Vision sans odeur, mais rencontre d’une immense saveur. Celle de nos habitudes de doux fêtards. Mes pieds m’entrainèrent soudain, animés d’une vie propre vers la dernière salle. Odeurs irrésistibles du café, du quat’ quart au beurre bien, bien jaune, des pelures de mandarines, et du lait tiède. Puis, j'ai discerné le marmonnement des conversations juste ébauchée, comme un code commun et compréhensible à tous les lèves-tard ; « sucre.. ?, lait…? Bé non…, c’est où qu’il est...? Y’a pu d’eau chaude… » Economie des mots, des gestes. Urgence d’engloutir une première gorgée de café brûlant, qui désembue les méninges, débrouille le nez, et rince les miasmes granuleux d’une haleine chargée. Claquement de langue, pendant qu’une main s’avance pour attraper un bout de pain, tandis que l’autre plonge une cuillère brusque dans un pot de confiture de poires confites aux arômes de miel, ou de pêches, aux saveurs d’automne et d’amandes. Coordination des gestes, mais esprit embrumé. Paupières plissées, yeux en fentes, concentration entièrement dédiée aux roboratives et salvatrices odeurs du petit déjeuner.
J'ai pris place à la longue table, entourée de mes compagnons de bringue, une tasse de breuvage chaud au creux des mains. Comme chaque fois, j'ai retrouvé avec plaisir ces effluves qui rôdaient, entre les bols fumants et les reliefs de nourritures, de nos corps engourdis qui conservaient les marques d’une nuit intense et tapageuse, suivit d’un sommeil harassé modèle parpaing. Effluves doux, sensuels, parfois musqués. Légèrement boisés, avec un vague relent de mûres ou de myrtilles écrasées, pour les amateurs de vin, de levure sucrée pour les buveurs de bières, de quelques miettes amères de nicotines, et couvrant le tout d’une cape invisible, le remugle encore appétissant des épices caramélisées du méchoui, que l’on avait mit à rôtir en plein air.
Dans quelques heures, une bienséante neutralité régnera de nouveau. Les semi-éveillés engourdis dans leur jus, seront remplacés par les frais pimpants sortis de la douche, en habits de valises, cheveux humides et sourire dentifrice.
Oui, la fête sera alors bien finie.
Nous serons redevenus des citoyens civilisés…pour combien de temps ?


-Pour Lapo, à propos de notre conversation, assit au soleil sur les marches coté jardin, de l'odeur des yeux plissés les lendemains de fêtes....
-Pour les 120 ans de Nathalie, Bruno et Pierre.





















jeudi 12 novembre 2009

Café Américain

Mon homme m’affirme que ce n’est point un endroit où prendre un café.
Pour un non consommateur de cette boisson, je trouve qu’il ne manque pas de toupet. Mais je comprends qu’il est beaucoup plus français que je ne le suis, et qu’il défend un certain territoire : le bistro. Je lui donne entièrement raison. Question territoire. Mais parfois je passe outre, car il m’arrive de succomber au mauvais goût de mon enfance, souvenirs de petite fille qui a découvert au hasard des pérégrinations de son papa/maman, l’Amérique, et sa ribambelle de parfums sucrés, des nourritures soit disant « salées » : ketchup, pickles, baggels, mayonnaise blanche, moutarde jaune fluo, et bien plus tard, le café à l’eau chaude.
Hors donc, ce jour, en balade sur l’interminable trottoir de l’Avenue de l’Opéra, la jambe traînante, les oreilles en coton et l’esprit saturé par le grognement permanent de la circulation, j’aborde la fameuse enseigne et n’hésite pas longtemps. Je trouve de toute façon un prétexte tout prêt : j’ai lorgné dans un coin un fauteuil club, ventru et libre, et j’ai une chronique à terminer. Voilà, c’est parfait ! Je possède une excellente raison de flancher, et de m’envoyer un noir dans un carton. Mes scrupules apaisés, je franchie le seuil de la boutique et, d’un coup de nez d’un seul, je ne suis plus en France mais au pays du sucre rigolo, du caramel croustillant et du lait chaud monté en neige : Café Disney.
Bien sur, Mickey ne pointe pas son museau, mais trois étudiants, vêtus d’uniformes couleur marron papier, arborent un sourire Barbie-est-heureuse, et me proposent de me servir prestement toutes consommations que je voudrais bien leur désigner. Je parcours les panneaux où sont décrits avec force détails les Mocha, Macchiato, Cappuccino, et je trouve enfin mon café allongé sans modération. Je me décide ensuite pour la taille, mais je me fais avoir sur le terme employé : on me dépose sur le comptoir, un exemplaire gigantesque. Bah ! Je prendrais tout mon temps pour écrire. Mon seau brûlant à la main, je me dirige vers le canapé élimé, toujours inoccupé. Apparemment, c’est l’heure creuse. Je m’installe confortablement, ma boisson réconfortante à portée de main, et tout naturellement un rythme s’installe : je tapote sur le clavier, et le temps passe, entre deux phrases capturées, un fouillis de fautes d’orthographes corrigées, une virgule qui cherche désespérément sa juste place, et un décrochage régulier, pour absorber une lampée de café diaphane au parfum de flotte légèrement torréfié. Mais soudain mon bout de nez est chatouillé par une odeur de sucre monté en graine, puissante et souveraine. Je lève la tête et je découvre une jeune femme debout et souriante, un énorme muffin prisonnier de ces doigts délicats, qui me demande gentiment si elle peut s’installer en face de moi, et partager la petite table basse. Oui, oui, bien sur… et sans m’attarder davantage, je retourne à mon clavier: tape-tape, tape-tape. Oui, mais… Le muffin, petite montagne alléchante, déploie des ondes obstinées et envahissantes de beurre ultra frais, de jaune d’œuf concentré, de cannelle de Chine et de sucre vanillé des Tropiques. Pourtant, en levant un œil, je me rends compte que c’est une brioche parsemée de nombreux et gros éclats de chocolat. Je suis impressionnée par la force solitaire de cette friandise, posée sur la table à moins d’un mètre de mon nez, qui pulse, dès que les doigts féminins picorent quelques miettes, un lourd parfum de beurre et de vanille de synthèse, sans le moindre relent de cacao. Je redresse mon corps et j’hume l’ambiance de ce lieu dédié au café. Aucune signature de torréfaction non plus. Aucunes vapeurs amères, ni de sournoises et séduisantes volutes calcinées, croustillantes et boisées, ni ce résidu de cirage froid, lorsque moisit dans un tiroir des monticules de marc. L’odeur caractéristique reste sans doute prisonnière de la chope en carton avec son petit opercule en plastique, à moins qu’elle ne soit engloutit par l’ajout du vaste choix d’accessoires gourmands, comme le caramel liquide, la poussière de vanille, la mousse de lait chaud, ou la poudre de cacao confectionnées sans les fèves.
De nouveaux consommateurs, de plus en plus nombreux à présent, louvoient, gobelets à la main en une valse désorganisée, afin de trouver le fauteuil cosy encore disponible. Des parfums de jus d’oranges fraîchement pressées traversent l’espace. Molécules cristallines et pétillantes, éphémères, elles virevoltent sous mon nez pour disparaître aussitôt. Les émanations plus charnues, comme celles de la chantilly ou du caramel chaud, parviennent en se trémoussant avec peine, à atteindre mon nez curieux pour cette faune olfactive à l’américaine. Je ne comprends pas pourquoi ni comment ces pâtisseries si artificiellement parfumées, excitent ainsi ma gourmandise, ni pourquoi le café reste agréable, même incolore et inodore. Pourtant bien malgré moi, je demeure captivée par ces odeurs, violentes ou fades, avec ce je ne sais quoi de ridicule et de disproportionnée. Le coté gadget sans doute ? Je flirte avec la tendance « adulescent » versant régressif. Je retrouve mon engouement de gamine pour tous ces parfums postiches, qui réjouissaient mes papilles et mes narines naïves de petite fille. Heureuse époque de gloutonnerie confiante, où le nez comblé, et sans préoccupation sur la composition ou sur les conséquences, je savourais des gâteaux couleurs d’arc en ciel aux arômes improbables de fruits des bois, ou de beurre de cacahuètes.
Derechef une gorgée de café à l’eau, tiède maintenant. Glissement de mémoires et associations aléatoires, j’ai envie, tout à coup, de revoir le film «Jour de Fête» de Jacques Tati, avec son facteur qui effectue sa tournée «à l’Américaine».
Encore de la gourmandise sans doute…

lundi 9 novembre 2009

Interlude 3

Bonjour à tous, et en particulier à mes commentateurs.
Ce matin j'ai consacré un peu de temps à revenir sur mes "vieux" posts et j'ai constaté que vous aviez laissé de nouveaux commentaires. J'ai répondu à chacun de vous, en vous demandant de me pardonner si j'ai pris tant de retard...mais j'avoue que je n'avais pas imaginé que je trouverai encore des commentaires sur des textes plus anciens. C'est une découverte agréable et dorénavant je penserai à revenir de tant à autres sur mes premiers pas!
Bonne semaine à tous.
Prochain post cette semaine : dès que j'ai trouvé le mot qui manque pour décrire le machin !

jeudi 5 novembre 2009

Bonne fête des morts...Mesdââames ! (suite)

Une autre journée se passe. La chaleur grimpe, l’odeur devient suffocante et source d’inquiétude maintenant. Elle « colle » littéralement à mes narines : séduisante, déroutante, attirante. Je la pourchasse sans cesse, à l’affût du moindre courants d’air, d’une saute de vent, afin d’y appliquer mon nez, intriguée et déroutée, agacée et rebutée. Je veux comprendre, identifier et classer. Je finis par décamper de l’appartement afin de trouver un peu de repos, car je suis éreintée de cette quête irréelle et absurde. Capturer l’impalpable. Identifier ce que personne ne cherche.
Les rares voisins qui ne sont pas partis en vacances se plaignent vaguement, étourdis par la chaleur. Cernés par des problèmes quotidiens plus concrets, ils évoquent résignés, les poubelles qui n’ont pas été sorties ou, mal nettoyées. Odeurs de détritus ? Pas satisfaisant, pour mon cerveau connecté à mes narines. Les images ne correspondent pas tout à fait. Il manque des infos. Ou bien, j’ai des pièces en trop. Et puis j’ai vérifié : les poubelles ont été évacuées comme chaque jour, et le local est plutôt propre.
Le soir venu, je suis de retour. Aussitôt franchit le hall d’entrée aux murs voilés et fissurés, l’étrange odeur dévore toute mon attention et libère l’angoisse. Pour la première fois, j’agrippe mon T-shirt par le col, et le tire d’un mouvement sec sur mon nez. Je retrouve sur le coton, le parfum rassurant de ma peau. Doudou originel, repère intime et familier. Je ne m’attarde pas, je prend la tangente et grimpe les escaliers comme si j’avais la mort aux trousses. Deux étages plus haut, cloitrée dans mon appartement, je me demande comment je vais passer la nuit et, trouver le sommeil. J’imagine toute sorte de scénario: fourrer du coton imprégné de baume « homéoplasmine » dans les narines ; déposer une bassine de café noir au pied de mon lit ; répandre, concept médiéval, des herbes aromatiques Ducros sur le plancher…Le nez en pagaille et le cerveau battant la mesure moulinette, je tente sans succès de me raisonner, quand soudain, le calme explose. L’immeuble gronde et proteste. Piétinements pressés de lourdes chaussures militaires. Voix fortes et autoritaires. Réactions paniquées d’un jeune homme, rappel à l’ordre et bourdonnements incompréhensibles. Intriguée, et ravie de ce moment de diversion où mes oreilles prennent le pas sur mon odorat, j’ouvre la porte de mon palier et, dans le plus pur style voisine aux aguets, je tends mon cou…mais n’aperçois rien. Mon sentiment de soulagement est de courte duré. Je comprends très vite que ce vacarme annonce un drame.
Ensuite, je ne peux qu’imaginer la scène, car je n’envisage pas de dévaler les étages pour endosser le rôle de voyeuriste. Un homme, un pompier sans doute, tape d’un poing vigoureux sur une porte du rez-de-chaussée, qui raisonne, grince et se plaint. Quelques secondes se passent. Aucune réponse. L’homme cogne derechef violement, puis c’est l’intonation aiguë du jeune homme inquiet, qui hurle le prénom de l’occupant de l’appartement. Sans succès. Nouveaux bourdonnement de voix. Va et vient de gros godillots. Puis un énorme craquement, une déchirure métallique, suivit du staccato des escarbilles arrachées à la porte, et des brisures de plâtre, projetées violement sur les murs et le sol dallé. Enfin, le silence. Paix toute relative, car soudain et sans crier gare, je suis percutée, sonnée, broyée, par une puanteur épouvantable. Formidable vague invisible et dense, qui vient d’être libérée et qui s’engouffre toutes griffes déployées dans la cage d’escalier. Je vacille et m’effondre, le nez sur mes genoux, gémissante et en larmes. Pour la première fois je hais mon nez. Je souffre dans tout mon corps et mon cerveau de ma merveilleuse faculté de sentir. J’ai envie de fuir. Je ressens une peur immense, et une fragilité terrible. Bon sang ! Que cette odeur est sucrée, sirupeuse et écœurante. Une confiture monstrueuse.
Maintenant, je sais. Classée, étiquetée, et mémorisée. La mort à une odeur. Incomparable. Inoubliable. Unique.

lundi 2 novembre 2009

Bonne fête des morts... Mesdââames! *

Un jour, j’ai senti la mort.
Celle de la vie.
Qui colle au nez, et qui fait peur.

Territoire inconnu, mon nez ne reconnaissait pas les indices. Les molécules capturées et analysées n’évoquaient rien, ne se rapportaient à aucun référent : je me trouvais soudain devant un monde sans nom, sans couleur, sans signe distinctif.
Il me manquait un repère, quelque chose de concret pour que l’odeur qui traînait sous mes narines prenne forme, consistance, et devienne une image en 3D reconnaissable et rassurante. Et hop ! Dans la boîte : classée-nommée-oubliée-mémorisée.
C’était l’été. Un mois d’Août à Montmartre. Mon immeuble de guingois donnait au Nord sur une rue aux pavés inégaux. L’herbe, avait le temps de pousser entre les mauvais joints, malgré les passages des voitures, des piétons et du petit bus électrique. Au Sud, coté cuisine j’avais une vue tronquée sur Paris. J’apercevais les Buttes Chaumont mais pas la tour Eiffel, car l’immeuble formait un angle et masquait l’Ouest Parisien. Mais je ne m’en plaignais pas, car cette vue inachevée m’offrait un plaisir rare : l’illusion de respirer au cœur de la ville, d’appartenir à l’infini quand le ciel tendait ses bras sans nuage ni pollution, et la satisfaction de contempler le tapis gris bleuté des toits, qui déroulait son patchwork à mes pieds.
La particularité de Montmartre c’est de recevoir en pleine face les vents, comme une accolade revigorante en été, souvent vigoureuse le reste de l’année. Je n’ai jamais connu la pesanteur estivale dans cet appartement toujours naturellement ventilé.
Cet été précisément, le vent est venu taquiner mes narines. Une fin de matinée très chaude, où le soleil donnait de plein fouet sur le mur de l’immeuble coté Sud. Quelques effluves au début. Un signal dans un coin de mon esprit, rapidement analysé, absorbé, et identifié comme quelques miettes sucrées pas désagréables. Les fenêtres étaient pourtant fermées, afin de préserver un peu la fraîcheur toute relative de l’appartement, mais elles étaient si vieilles, usées et déformées, que l’air passait à travers un réseau de jours, de la taille d’un petit doigt parfois !
Odeur puissante en vérité. Sinueuse, et tenace déjà.
Le lendemain l’odeur est toujours là. Plus prégnante, plus intense également. Mon nez commence à renifler comme un chien, par petits coups, narines palpitantes ouvertes au maximum, afin de capturer toutes molécules porteuses d’informations. En vains. Je commence à sentir la perplexité et la gêne parcourir mes méninges. Une odeur oui, mais sans images. Je me découvre aveugle.
Bien sur, je peux énumérer : fruité, sucré, piège à abeille, pâte de coing pas assez cuite, poire molle, infusion de bois, abricots écrasés dans un sac en plastique après une journée de pique-nique, pommes de terre fripées, huile de noisette…
Mais cette classification ne me satisfait pas.


A suivre…
*Kurogan, dans Highlander

vendredi 23 octobre 2009

Interlude 2

Bonjour à tous,

Quelques mots pour vous dire que les chroniques s'interrompent pour peut être 2 semaines, car je prend le large à la campagne.
Je vais parcourir les forêts du Limousin, rammasser des chataîgnes et récolter de la boue avec un plaisir d'enfant, sur mes chaussures de ville !
A très bientôt,
...et un immense merci pour vos commentaires et votre lecture, même sans commentaires !

mardi 20 octobre 2009

Jardin d'enfants

Me voici comme presque chaque dimanche, à l’heure de l’après sieste des tous petits, assise, silencieuse, à contempler ma progéniture courir en tous sens, et lâchant de-ci de-là, sans raisons apparentes, des cris stridents de joie et de peur mêlées. C’est d’un ennui….
Pourtant, j’ai de la chance, car il ne fait pas encore trop froid en ce début d’automne, la lumière est douce et apaisante. Songeuse, je compte la fréquence des gamelles, et le nombre de bouches soudainement ouvertes sur un cri scandalisé « je-m’a-fais-mal-maman ». Je repère les coups d'épaules et autres tatanes à l’insu des grandes personnes, et je mesure combien cet univers lilliputien est redoutable. Lorsque je me suis lancée dans la grande aventure à deux, de faire des enfants, j’avais imaginé de nombreux scénarios comportant moult scènes de plaisir, d’engueulade, de rire, de responsabilités, mais je n’avais pas envisagé celle qui revient en boucle : l’après-midi au square du quartier, parce qu’il ne reste plus beaucoup de temps entre la fin de la sieste, et le début du bain/repas/dodo du soir. Mais comme tout bon parent qui se respecte, j’enfile blousons et chaussures et, en route ma poule, dehors tout le monde afin de prendre l’air, quitte un brin dans le coin, pour dépenser le trop plein d’énergie accumulée dans les petites jambes et les petits poumons !
Le Square, donc.
Long et étroit rectangle de verdure bien ordonnée, aux allées de graviers régulièrement ratissées, délimité par quelques arbres soigneusement taillés et encadré par la ligne d’immeubles en briques rouges de mon quartier. A la proue, on trouve le vieux kiosk qui ne musique plus du tout, mais qui résonne des conversations d’ados qui échangent le dernier single indispensable, sur leurs MP3. En poupe, coté piaillements, un quadrille de bancs publics, jamais assez nombreux cependant pour accueillir tous les parents abandonnés, qui couvent d’un œil vague la marmaille bruyante, déboulant parmi les éléments de la minuscule maison de Crusoé des villes. Assemblage de bois, plastique rigide et cordes synthétiques, défiant toutes les normes de sécurité Européenne, prolongé par deux toboggans en aluminium froid. Et pour recevoir les petites fesses aventurières, un sol en caoutchouc absorbant, qui parfois fait pouic, quand on marche dessus pour secourir notre bambin. A chaque pouic, un petit jet de gaz odorant qui rappel l’odeur de la chambre à air des vélos de mon enfance, et la crème Mitosyl.
Assise sur mon banc je me tortille comme une gamine impatiente, car la guinguette, pourtant située à l’autre bout du terrain de jeux, me chatouille les narines avec des effluves sournois de gaufres bien chaudes, aux arrêtes croustillantes et caramélisées. Un enfant imprudent passe sous mon nez avec une Barbapapa aérienne, qui penche dangereusement sur son bâton. Si j’osais, je donnerai un léger coup de griffe sur cette tour de Babel trop tentante. Personne ne remarquera rien, non ? Mais un doute me vient d’emporter sur le bout de mon doigt, malgré ma dextérité, toute la vapeur de sucre rose. Scandale intolérable de larcin glouton sur un ange sans défense : ma réputation de maman idéale en prendrait un coup ! Avec effort, je vide mon nez des odeurs trop alléchantes, qui finissent par me rendre nerveuse. Raisonnable, mais submergée par un long soupir de regret, je contemple résignée le bac à sable humide, où se disputent une ribambelle de râteaux et de seaux en plastiques, dont certains sont parfumés à la fraise ou à la vanille. Je décline, comme un refrain de comptine « 1, 2, 3, nous irons au bois », les saveurs mêlées des biscuits broyés aux accents de beurre frais, du pain d’épices en miette, des gourdes de compotes de pommes éventrées, et de quelques quignons de pains barbouillés de sable et de Nutella. En m’approchant d’une échelle, qui franchit un précipice imaginaire, où ma fille se dispute la place avec un petit camarade qui sent le chocolat, je suis soudain fouettée par une farandole d’enfants heureux, débarbouillés généreusement avec des lotions pour le visage, où je débusque l’odeur de Poupina, de Mustella, d’un shampooing à la Poire et d’une eau de toilette à la Tagada.
Mais en retournant prendre place sur mon banc, assise bien sagement, mes narines trainent et capturent sans plaisirs les relents d’un monticule de feuilles mortes, la poussière des Platanes, la flétrissure de fleurs en fin de vie, au cœur de pollen mouillé.
Non, décidemment, je n’apprécie pas de passer du temps sur un banc dur et froid, dans un square des familles. Résultat mon nez boude, et déforme les odeurs, sans rien leur trouver de quoi que ce soit d’agréable. Je fais un caprice. Na !

mercredi 14 octobre 2009

Lumière !

Couleur nuit. Blanche à Paris.
Comme tous les ans, je dors bienheureuse, au moment où la ville propose de nous entrainer dans son sillage nocturne.
Quelques heures plus tard, par le hasard d’un bref zapping de la presse quotidienne, en lorgnant par-dessus l’épaule de mon voisin de métro, je découvre qu’une gigantesque boule à facettes suspendue au cœur du Jardin du Luxembourg, frappée par le trait éblouissant d’un projecteur planté au sommet du réservoir d’eau de Montmartre, offrait aux visages levés, le privilège d’une nuit étoilée, impossible à contempler en ville…
Le regard perdue sur la photo, où l’on distingue l’immense bras de lumière verte, suspendu au dessus de ville et effleurant la fameuse sphère, je commence à m’interroger sur l’odeur de cette lueur, couleur gazon. Impossible d’aller poser mon nez dessus. Mais si notre imagination peut concevoir des étoiles éphémère, nous pouvons sans doute inventer des volutes parfumés, produites par des vibrations de lumières ? Allez, tiens ! Je vous emmène, nez devant, pour découvrir quelques rayons de mon invention.
Goûtons d’abord à cette caricature nocturne de Paris : le voisinage du Moulin Rouge, qui concentre en une courte avenue, une profusion de néons vifs et colorés. Ce foisonnement brouillé et liquide m’évoque souvent l’odeur minérale des pâtés mous, façonnés dans les bacs à sables des jardins d’enfants. Une consistance de saccharose et de bouillie d’avoine, mélange singulier pour des trottoirs à la décadence contrôlée.
J’ai un faible pour l’odeur de l’éclairage des stations d’autoroute. Les lampadaires reptiliens, avec leurs cols inclinés, leurs immobilités indifférentes, m’évoquent souvent les envahisseurs de la Guerre des Mondes. Leurs halos blafards d’une nuance mauve, parfois vert absinthe, émulsionnent dans un même potage, les relents douçâtre du bitume et du diesel, les éclats âcres des capots surchauffés des véhicules -- maculés d’insectes broyés/séchés -- qui suintent une odeur de Zan et de peinture glycéro cuite au four. Ajoutez pour la douceur, une louche de café mouillé, une généreuse rasade de fausse lavande, trimbalée par les gens de passage, et vous obtenez un surprenant résultat qui éclate en bulles de chaleurs miellées, et picotements poivrés.
Mais celui que je préfère entre tous : l’éclairage public de nos campagnes. Juchée sur le sommet d’un poteau en bois maculé de goudron, l’ampoule énorme, couverte d’une assiette renversée, pulse une lumière rose et faible dans les premières minutes, puis s’échauffe et atteint sa pleine intensité. Parfois un papillon de nuit vient y griller ces ailes. Ces lampes possèdent une odeur très particulière : curieux mélanges d’effluves de jambon de pays enveloppés dans un torchon en cuir (le goudron qui s’échauffe), d’écharde de bois, de pop corn (papillons grillés !) et une sensation de sève verte et puissante, quand le mât garde encore le souvenir de sa vie d’arbre…
Avec un peu de chance (enfin, pour la sécurité je ne suis pas sure que le terme soit bien choisit !), peut-être, êtes vous tombés nez à nez avec une de ces ampoules oubliées depuis longtemps dans une cave ou un grenier. Eclairage maximum, cru et nu. Filaments apparents qui vibrent et diffusent lumière et chaleur. Et surtout le fil conducteur enveloppé dans une gaine en tissus un peu lâche et bien usé. Cordon ombilical odorant. Odeur grasse et boisée, toiles d’araignées, crottes de souris et autres moisissures humides : mélange apéritif de cacahuètes tièdes, de noix de muscade éventée, et de champignons déshydratés. Miam. Non ?
Aujourd’hui les lampes à faible consommation que nous utilisons pour le bien-être de notre environnement et de notre porte-monnaie, ne chauffent plus. Pas d’odeur. Juste une lumière froide, efficace et utile. Alors je porte mon nez ailleurs et j’imagine encore, le parfum de la lumière noire, des feux stop, de l’électricité statique, des halogènes qui grillent en belles volutes les insectes égarés et la poussière oubliée, de la lampe chez le dentiste, de l’écran télé, en fonction de la pertinence des programmes, des lampes torches égarées dans la nuit …et j’en oublie

lundi 5 octobre 2009

Escalier 1

Instantané carte postale au sommet des escaliers de Montmartre, à l’aube, après une nuit passée chez des amis à refaire le monde, avec nos mots et nos silences. J’ai la tête un tantinet embrouillée, les gestes lents et l’esprit serein. Vingt minutes plus tôt j’ai quitté la tribu, mais sur le chemin du retour, mes pas ont dérogé à l’habitude d’aller droit au lit pour récupérer quelques heures d’un sommeil nécessaire. En général, je contourne la Butte depuis le boulevard Clignancourt, puis, tel un Dahu, je glisse de guingois et parviens sans effort jusqu’à ma ruelle étroite, versant Abbesses. Ce matin, je décide de gravir les rues tortueuses et escarpées, attirée par les premiers rayons du soleil, de ce mois de Juin qui me chatouille agréablement le nez. Derniers lacets, rue du Chevalier de la Barre mes pas ralentissent, car je suis essoufflée d’une part, et ensuite parce que je savoure le plaisir d’arriver en catimini dans le dos de Paris, afin de surprendre son état d’esprit au petit matin. Je longe la Basilique silencieuse, je découvre un ciel doux de plus en plus vaste, je distingue les premières griffures des toits, et me voici solitaire, en lisière des escaliers qui déroulent quelques degrés jusqu’au funiculaire, puis se prolongent en une seconde vague qui s’achève au pied du manège des petits chevaux de bois.
Comme le Pont des Arts, les escaliers de Montmartre sont balayés par un vent régulier toute l’année, qui autorise si on s’attarde un peu, d’inhaler les effluves intimes de la grande ville. En ce tout début d’été, au milieu d’une journée ensoleillée, l’air se charge des éclats métalliques des toits en contre bas, puis à chaque marche il s’enrichit du parfum des touristes, des arômes des nourritures nomades, et des effluves des jardins alentours. On peut enjoliver cette description de quelques relents de térébenthine, échappés des tubes de peintures des artistes de la place du Tertre. Mais là, mon nez vous mène en balade. Car le vent ne s’offre pas de tel détour, et je ne possède pas une telle capacité de perception !
Mais à cette heure vraiment matinale, l’atmosphère est particulière. J’éprouve une confortable sensation d’abandon, l’impression de flotter au dessus des toits de Paris. L’agitation des rues et des boulevards, demeure pour quelques instants encore, un murmure agréable. Les odeurs sont assoupies, volutes souples et langoureuses. Enfilades de molécules qui se déploient doucement, prudemment, comme on étire ses bras au dessus de la tête le matin au réveil. Soupir de bien être paisible, lorsque notre souffle s’échappe de nos poumons endormis. Paris respire. Je suis assise sur les marches, attentive et discrète. Surtout, ne pas être importune. Oubliez-moi, je vous renifle.
J’embrasse les toits, je contemple les tuyaux biscornus du Centre George Pompidou, je devine les méandres de la Seine, je repère l’aiguille affûtée de la Tour Eiffel. Bien sur, je ne peux pas sentir l’odeur de tous ces monuments, mais mon esprit s’amuse à composer une petite rengaine parfumée. Une ritournelle, où il est question de brume bleutée, un peu froide et frissonnante ; d’un ruban souple, à l’odeur mouillée et scintillante, pour évoquer le fleuve et les rues fraîches ; de quelques traits verticaux à l’odeur de fenouil et de ronces, pour suggérer le remugle des poutres et des tubes en métal. J’aime imaginer que mon nez capture la texture des fibres, échappées des centaines de rouleaux au repos, des tissus du Marché Saint Pierre, vaste immeuble aux parquets usés par les piétinements des clients de passages. Parfum complexe et désuet, de ouate poussiéreuse, de teintures neuves, de résines, et de bois vernis.
Soudain, monte jusqu’à moi une saveur froide, minérale, presque âcre, comme la peau d’une banane verte. En contre bas, j’aperçois les aller et venues des véhicules d’entretien qui arrosent copieusement les rues pavées, afin de les débarrasser des déchets de la veille, pour les livrer luisantes aux touristes qui se promèneront le nez en l’air, appliqués à ne rien perdre de vue. Plus proche de mes narines, les relents amers de mégots oubliés sur les marches, un chewing- gum à la menthe douce terriblement sucrée, qui forme une tache molle à ma droite. Une mignonnette de porto, abandonnée sans capsule, vide évidemment, dont je perçois les effluves boisés caramélisés, de sucre non raffiné. Une canette de Coca Light, dont je reconnais la note acidulé et métallique de l’aspartame, lorsqu’il à prit un coup de chaud. Quelques marches plus bas, c’est un Orangina. Trop éloigné pour que je débusque son odeur, mais je sais que cette coquille vide émet à ce stade, un reliquat essoufflé de vomit acidulé, lointain écho de sa forme précédente, d’orange vitaminé au goût de sirop gazéifié.
Je ne devrais pas laisser mon nez traîner trop près du sol, mes idées prennent une tournure moins romantique.
Allez, zou ! Il est temps d’aller dormir…

jeudi 24 septembre 2009

Petit Coin

Boulevard Hausmann et sa ligne de fuite Grands Magasins. Au Printemps de la Mode, grimpette allègre vers le premier étage par les escaliers roulant qui m’entrainent, certaine d’arriver à bon port, à l’angle réservé de la joaillerie et de la maroquinerie de grand luxe. Est- ce un effet de cause, mais les toilettes conventionnelles où j’ai mes habitudes ont disparu, remplacé par un corner sombre, intitulé en lettres d’argents fumées : « Toilette PointWC Déco ». Je reste perplexe, les pieds hésitant sur la bordure du parquet sombre, qui délimite ce coin curieux. Je suis cernée de chaque coté par des étagères scintillantes qui croulent sous les rouleaux de papier WC aux couleurs pimpantes de bombons anglais : rose vif, vert gazon, orange vitamine et noir réglisse. Par discrétion, je ne citerai pas cette marque, spécialisée dans le petit rectangle prédécoupé de ouate de cellulose de luxe, délicatement tendance. Je distingue également un assortiment exquis de balais brosses aux finitions tarabiscotés ou futuristes, des dérouleurs clinquant comme les enjoliveurs de Jackie, et une masse confuse de boites, objets et accessoires inconnus, mais aveuglants de propreté, d’éclats et d’angles miroir.
J’avise un comptoir derrière lequel officient deux jeunes femmes en pyjama japonais retouché Spa occidental. Je m’approche avec une simple question aux bouts des lèvres : « A quel étage ont migré les toilettes, siouplait ? » Mais la personne tout sourire anticipe ma demande et me lance « Bonjour, pour les toilettes, un euro, Mâdame ». Et là le nez m’en tombe ! Évidemment, nous y sommes. Mais le décor déroutant, et le ticket payant. Je vous passe rapidement les détails sur l'abîme sans fond de mon porte-monnaie - tiens il est encore vide celui-là – qui me transforme en gentille fille un peu bête. Malgré tout mon bagou, je ne réussis pas à les attendrir et m’offrir un pipi gratuit ! La responsable du stand me propose très obligeamment de me soulager de ma délicate situation, en facturant le petit euro par Carte Bleue visa, qui me permet, dérisoire sésame, d’atteindre la seconde antichambre où les choses sérieuses et prosaïques se passent. Un euro, pour faire la queue et attendre qu’une cellule se libère. Une minute, pour laisser mon nez musarder. Je découvre une ambiance cosy, de boudoir moderne, dans les tons zinzolin et mandarine. Pénombre énigmatique, musique en tapinois, hygiène cérémonieuse. Déplacements furtifs d’une soubrette en pyjama et gants de ménagère roses, chiffon blanc et vaporisateur mitrailleur dans chaque main. Dès le passage d’une femme sur la lunette, le linge et le spray passent à l’action. Des gouttelettes microscopiques sont ainsi dispersées par le lavage incessant, et parviennent sans relâche sous mes narines. Je suis rassurée. Malgré l’étrangeté du lieu, l’odeur est identique à celle de toutes les toilettes publiques en France. Enfin, celles qui sont régulièrement et soigneusement entretenues. Cette signature parfumée qui symbolise la salubrité des sols et du mobilier d’aisance, exige apparemment une composition qui satisfait un cahier des charges précis. Remugle corrosif, d’une infusion de Pins des Landes aux zestes de citrons synthétiques, mêlé à quelques fleurs blanches délicates mais inconnues, qui hésitent entre le désinfectant d’hôpital, et la fiente d’oiseaux au menthol. Ce fameux petit relent de parfumerie industriel, perçu comme un cachet d’authenticité, par notre inconscient olfactif….Nous sommes dans un lieu où la propreté est maîtrisée, canalisée mais surtout pas embellit, ce qui pourrait la rendre suspect. Les toilettes publiques ne doivent pas sentir trop bon. Sinon, nous aurions le sentiment que l’on nous camoufle quelques noirceurs.
Enfin, c’est mon tour. La jeune fille en pyjama a au préalable, et comme chaque fois, désinfecté le terrain d’un coup de lingette. Je m’attends à prendre un uppercut de savon des usines, mais ce n’est pas le cas. La personne précédente est encore présente. Trace aérienne, que notre société n’apprécie pas. Mais mon nez s’en fiche, car le spectacle devant mes yeux est incroyable et ridicule. Je suis au cœur d’une minuscule boutique où tout ce que je voie et touche, est à vendre. Je découvre au dessus du réservoir d’eau une vitrine verrouillée contenant des objets WC, et une affichette détaillant les prix, dont celui de la cuvette orange flamboyante, profilé comme un engin alien, avec en prime le nom du designer et le titre de son œuvre : « Istanbul », by Lovegrove. Un vrai conte des milles et une nuit. Ah, Crotte ! Le papier toilette est standard, j’espérai du vert ou du noir.
Lorsque j’émerge ensuite de la mini boutique à utilité publique, la soubrette se précipite afin d’effacer toutes traces de mon passage, tandis que j’avance de trois pas pour la dernière étape. Je prends quelques secondes pour admirer le lavabo ovoïde à beaucoup d’euros, comprendre comment la robinetterie chatoyante (pas mal d’euros) fonctionne, et trouve enfin la pompe à savon, en inox martelé (plusieurs euros), sur une étagère, qui libère un liquide bleu, à l’odeur de thym et de romarin banal mais plaisant, qui je pense ne vaut que très peu d’euros.
Je quitte le Show Room hilare, mais rassurée que mon métier soit utile de temps à autres, juste pour quelques miettes d’euros !

mardi 22 septembre 2009

Les savonettes

Un homme,
Nouveau riche et satisfait.
Amoureux de belles choses et de belles odeurs.
Il débuta dans l’urgence, dès sa sortie des grandes écoles de commerces. Jeune, armés de diplômes et d’astuces, il entreprit de s’enrichir rapidement, et y parvint. A 38 ans, les poches pleines il décida de s’arrêter, de s’offrir une propriété viticole, et de créer du vin. Il découvrit les saisons, le temps qui passe : les pieds de vignes nus en hiver, luxuriant à la fin de l’été. Il s’aperçu que le vin prenait une jolie patine, avec les années.
Un jour, comme à son habitude, il monta sur Paris et se procura auprès d’une grande marque de parfums, ses savonnettes préférées parfumées à l’Oranger. Quand soudain une intuition, le rappel des heures et des jours. A son retour, délicatement, il déposa sur l’étagère en bois dans un coin reculé de son dressing, quelques savons, et attendit. Une semaine, puis trois. Un mois, puis trois. Une année, puis trois. Il les jugea alors à point. Toujours blanches, le grain un peu plus serré. Quand il pencha son nez, il découvrit l’odeur, ah ! L’odeur. C’était parfait. C’était son œuvre, sa force de patience. Terminé l’urgence.
Depuis ce jour, le nouveau vigneron affine ses savonnettes de luxe, avec un plaisir de connaisseur, heureux de sa trouvaille.

mercredi 16 septembre 2009

Métro 3

La nuit au chaud dans le tunnel.
Peu de monde dans la rame : quelques couples, une bande de jeunes gens, heureux et joueurs, dont je perçois distinctement les conversations. Les mots parviennent à mes oreilles comme un mouvement de galets qui s’entrechoquent, un bruit doux et souple. Mon nez par contre, capte peu d’information. Les odeurs sont diffuses, confuses, à peine un murmure.
Comme souvent en soirée, les parfums sont moins agressifs que le matin, car on ne court pas après l’efficacité et la technicité, mais on s’adonne plus volontiers à la sensualité et au laisser-aller. Ainsi, lorsque la journée bascule et laisse la place aux noctambules, une transformation invisible s’opère. Le francilien couche tard souhaite se distinguer olfactivement de son voisin, contrairement au lève-tôt qui aspire à se fondre dans la masse uniforme et mouvante des travailleurs. Les signes odorants alors, s’opposent aux codes vestimentaires.
Le soir, couleurs vives et parfums caressants. C’est le temps du parfum de peau. Signatures multiples de meringue vanillée, parfois caramélisée, aux éclats de fruits confis, de bois patinés ou de muscs. Promesses de voluptés douces et d’activités paresseuses. Mais dès potron-minet, on renoue avec la grisaille des vêtements et le parfum percutant. C’est l’heure d’un déo pour tous. Vapeur puissante, rêche, acide et métallique. Air conditionné maîtrisé. Promesse d’efficacité et, de vélocité jusqu’au bout du jour…

La nuit au chaud dans le tunnel
On croise parfois, à cette heure tardive, quelques travailleurs qui ont enfin achevé leur journée de labeur. Malgré toute la bonne volonté des publicitaires, la dose vaporisée généreusement le matin a disparu. Supplantée, dévorée, usée par l’odeur dominante des bureaux, et celle plus discrète, et cependant marquante, du corps qui a supporté le stress. Galimatias d’émanations de moquettes synthétiques à bouclettes, de meubles en métal et bois composites, de l’effluve très fine et particulière des ordinateurs, et celle presque rassurante de la machine à café. Rarement un relent de sueur. Les traces de cigarettes ont pratiquement et soudainement disparues.

La nuit au chaud dans le tunnel
Tranquillité et cocooning olfactif.




vendredi 11 septembre 2009

Rentrée Politique

J’écoute les informations à la radio.
Réunion des Ministres et grandes décisions.
Voilà un truc qui me fascine. Que sent donc Matignon lors de ce rassemblement hebdomadaire ?
Quels parfums porte Machin, Machine, Bidule ou Chose ? Se font-ils concurrence comme pour les motifs des cravates? Portent-ils la dernière création tendance chic, ou plus simplement un pschitt du sempiternel flacon posé sur l’étagère, adopté depuis la rencontre de leur épouse.
Pensent-ils au score invisible qu’ils produisent quand, montant sur leurs grands chevaux le doigt pointé et volubile, le mouvement ample et le corps arqué, ils créent ainsi une sorte d’« odorama » de courbes indiscernables, et cependant porteuses d’informations : je suis en surchauffe et mon parfum aussi. Songent-ils, ces empereurs de la communication que ces effluves peuvent séduirent ou rebuter ?
Les flèches boisées, transpercent-elles les vagues d’iodes et d’épices ?
L’effluve d’armoise adoucit-elle les escarbilles de pamplemousse ?
Et ce beau bouquet floral disparaît-il au profit de la vanille ?
A moins que tout ne soit calme au pays des Ministres et que les parfums comme les hommes restent à leur place.
Donc peu d’information finalement.

mercredi 9 septembre 2009

Taxi !

Prendre un taxi, c’est comme jouer au loto. On espère tirer le bon numéro. Car une fois à bord, à moins de posséder le culot d’ordonner au chauffeur de se garer pour s’enfuir à toutes jambes, en général, nous faisons preuve de stoïcisme ou d’héroïsme, et nous patientons narines pincées jusqu’à l’arrivée.
Souvent je l’aperçois, ce bout de carton suspendu au rétroviseur qui se balance nonchalamment, et qui me nargue. J’hésite à ouvrir la porte et à m’installer. Mais trouver un taxi libre, disposé à vous conduire à votre adresse est parfois si compliqué, que finalement, j’aspire une dernière goulée d’air des trottoirs, et je m’engouffre dans le véhicule. Et là, dès la première seconde, je commence à le regretter. Bigre. Me voici au prise avec un occupant invisible, mais ô combien tenace et envahissant. Le responsable n’est pas loin, pourtant inaccessible. Il oscille tel le pendule du Professeur Tournesol dans mon champ de vision. Je le sens murmurer : « sassenbon, sassenbon, sassenbon » à chaque mouvements de va et vient crées par les secousses de la voiture, ou par les courants d’air de l’habitacle. Petit morceau de papier rigide et coloré, découpé façon sapin de Noël de notre enfance, imprégné du tronc jusqu’au faîte d’une substance odorante sournoise. « sassenbon, sassenbon, sassenbon ». Et mon esprit trancheur d’odeurs, qui bascule en mode automatique, isole et énumère les produits de synthèse qui composent ce fantastique parfum, imaginé par des chefs de produits inspirés. Concept soudainement indispensable, pour créer une atmosphère authentique et délicate, charmante et efficace, qui neutralise les émanations humaines qui se succèdent sur la banquette arrière. Voilà. Votre odeur naturelle, votre identité olfactive est laminée par les fluides effrontés de l’aldéhyde C14, de l’acétate isobornyl et de la vanilline. Vous disparaissez et les décors se succèdent : vous êtes dans un taxi qui opère dans le trafique des bassines de confitures de fruits; vous vérifiez d’un coup d’œil par la vitre l'itinéraire, car le chauffeur s’est sans doute égaré dans une forêt de sapins des Vosges tout rabougris. Consternation ! Vous êtes persuadés être assis sur un choux à la crème chantilly. Rassurez-vous, il arrive parfois qu' au cours de cette joute insaisissable, votre parfum le plus puissant dégoté chez Sephora, ou votre déodorant 72h sans peur et sans reproche, parvient à embrocher puis à terrasser le Sapin. Pac Man contre le Petit Fantôme. Qui l’emporte ?
Pour les curieux:
- l’aldehyde C14 est employé pour reconstituer l’odeur de la pêche jaune, et des fruits en général.
- La vanilline pour toutes les odeurs sucrées évoquant peu ou prou la pâtisserie. Les Ambres, les Orientaux...
- L’acétate isobornyle pour les bouts de bois de piètre qualité.
Pour Jean-Marie qui m'a offert l'idée des odeurs dans les voitures...suite dans Taxi 2,Taxi 3...

mardi 1 septembre 2009

Pont des Arts

Passage du vent. Passage du temps.
Décidez d’un moment dans la journée. En été, aux alentours de 8h30 le matin, ou carrément la nuit. A l’automne, dans la matinée vers 11h. En hiver pas plus tard que 14h ou sinon le soir entre Chien et Loup. Au printemps le choix est vaste, mais j’apprécie particulièrement 19h. Ensuite choisissez d’aller vous asseoir sur le banc situé au centre du pont. Visage tourné vers l’île de la Cité, faites une pause pour vous vider la tête et le nez : regardez passer la Seine sous vos pieds entre les lattes de bois. Fermez les yeux, redressez votre visage et respirez, sentez, absorbez. Fourrez votre nez dans la grande haleine de Paris comme un geste impudique et mal élevé.
A chaque heure une odeur : un parfum au fil des saisons.
En Août, même au cœur de la nuit des effluves de bord de mer vous transporte vers les îles aux cocotiers nonchalants : parfum de crème solaire dont les parisiens et les touristes s’enduisent, c’est Paris Plage.
En Octobre un relent de toile ciré élimée, résultant des feuilles en décompositions mais adoucit par un nuage voluptueux de pneus surchauffé, voilà un parfum presque sucré. Une lichette de graisses trop cuite, un soupçon de menthe chaude et de clous de girofle, évoquent tout à tour mon dentiste et mon marchand d’épices métro Saint Paul.
Odeurs d’iodes lors des hivers orageux, lorsque le vent apporte le reliquat de l’Océan dans les plumes des mouettes venuent chercher refuge et nourritures faciles au cœur de la grande ville.
Parfum de métal, volutes électriques qui évoquent les feuilles de tomates vertes et la sève humide, certains soirs d’Avril après la pluie. Je perçois aussi quelques fois, si la journée a été chaude, des fragments de réglisse noir et le parfum de miel des châtaigniers en fleurs.
Et chaque jour, en filigrane tout au long de l’année, le souffle saumâtre de la Seine. Infusion étrange, qui émulsionne ensemble les relents fades et intemporels de la vase, l’exhalaison des immeubles anciens alignés le long des quais - dont les murs frottés par des siècles de givre et de vent, de pluie et de soleil, dispersent des volutes de craie et de bois - au parfum actuel du peuple Parisien : steak au poivre, café, crottes de chiens et confiture de fraises…

lundi 24 août 2009

Métro 1

J’ai pris une décision étrange, reprendre le métro.
Je l’avais abandonné au profit d’une petite voiture élastique et automatique immatriculé EVA 92, Une voiture de pouf. Un an s’est écoulé et je me suis rendue compte que ma cervelle était petit à petit envahit de pensées agressives et étriquées. Que mes muscles rapetissaient et que mes fesses prenaient une drôle de forme évasées et, enfin et surtout, plus d’odeurs, plus de gens à regarder, à écouter. La voiture, bulle de ferraille, vous isole du monde, des autres et de la vie. Pas de nourriture affective dans une voiture. Plus de curiosité pour son prochain. Juste de l’impatience, quand cela ne vire pas à la haine tout court !
Donc je décide de reprendre le métro et de m’en mettre pleins les narines.
Pour un parfumeur c’est important : les autres. Je suis une voyeuriste des attitudes, des paroles, des gestes, des odeurs où se mêlent effluves de mangeaille, de shampooing, et celles plus sophistiquées de parfums. Tout fait signe. Je gobe. J’inspire. Je grimace parfois. Mais tout cela nourrit mon esprit et mes formules.
Je suis dans le métro.
Le bruit. Et puis : ça m’secou, ça m’secou, avec parfois cette impression d’être comme un coquillage accroché à un rocher, aggloméré et unit aux autres bulots, moules et bigorneaux, au rythme balancé des secousses de la rame qui trace son chemin souterrain. Ca m’secou, ça m’secou, et ce parfum d’humanité résigné qui flotte sous mes narines. Parfois je sens une résistance, un besoin de différence, une envie d’exister : un parfum de fleurs douces ourlées de soie, d'un peu d’iris grenu allongé de vanille, piqué de poivre blanc. Je sourie, j’aperçois à quelques coquillages de moi, une femme brune, bien maquillée, son écharpe colorée nouée juste sous son nez. Elle plonge dans sa propre odeur, celle de son parfum, elle évite ce trajet incontournable qui la mène au bureau, et ouvre sa propre fenêtre. Un sourire à peine dessiné flotte dans ces yeux. Le flacon lui a été offert par son amoureux, la veille : une fragrance douce, sans angle, ronde comme une balle, lisse comme l’oubli, qui remplace un peu les bras de son amant. Une odeur facile, pour la transporter jusqu’à la fin de l’hiver…

Chaque ligne de métro possède sa propre identité odorante. Chaque quartier de Paris aussi : La Défense souffle un certain parfum, le Quartier Latin propose une autre version. Matin, soir, 24h sur 24, sans parler des saisons qui déroulent leur tempo, Paris crée, propage, diffuse et traîne des odeurs différentes.
Au cours de mes pérégrinations je fais mon marché. Je capte des sons olfactifs. J’aperçois des odeurs. Je caresse des vapeurs plus ou moins fines, collantes ou rêches. Et mon imagination fait le reste.

vendredi 21 août 2009

Les Chips

C’est l’histoire d’un geste mille fois exécutés hiver comme été, par les petits comme par les grands: ouvrir un paquet de chips en un mouvement vif et déterminé. Pincez le sachet de chaque coté. Le papier aluminium proteste, émet un craquement annonciateur de plaisir croustillant. Puis coudes levés, perpendiculaires au corps, effet piston vers l’extérieur vous sentez encore une légère résistance. Enfin, un sifflement tout juste audible fuse et, soudain l’odeur s’échappe, empoigne votre nez dans un souffle bref, crée par un phénomène de pression et d’échange. Aussi sec, le cerveau pédale à perte, ne contrôle plus son émotion d’affamé. La suite, chacun la connait : augmentation du taux de salive ; papilles en paniques, à peines apaisées par le premier flocon salé. Jusqu’au geste de regret, qui clôture l’irrémédiable : sachet tête en bas, plus une miette ; flûte, j’ai soif maintenant.
Et pourtant… Lorsque je laisse trainer mon nez dans un sachet de biscuits apéritifs, quel qu’il soit, le fumet qui s’en dégage n’a vraiment rien de savoureux : vieille espadrille et gant de toilette oublié sur un coin de baignoire, enrobés de graisses déshydratées et de sel. Ensuite, il existe quelques variantes qui camouflent plus ou moins avec bonheur cette incontournable réminiscence de crasse éventée.
Les « TUC » possèdent un puissant parfum de mottes de beurres frais demi-sel, dispersées dans un champ de colza en fleurs, sous le soleil. Les petits fantômes dont mes enfants raffolent, les « Monster Munch » goût salé je précise, émettent une odeur très fade de semoule sèche relevé d’un soupçon de confiture d’abricot dilué dans un peu de lait. Les « Bretzels » sont beurrés comme un caramel au sel enrichi d’un effet carton. Certains « Pringles » bombardent vos narines d’éclats de tomates oubliées au four, de poudre de paprika sèche comme des rognures de crayon, d’oignons à l’odeur d’ail (ou est-ce l’inverse ?) adoucit d’un nuage de crème fraiche aigrelette. Les « Chipster » procurent le sentiment qu’ils ont été badigeonnés de Biafine.
Les « Curly » sont pouacres. Une odeur terriblement crue, rêche et stridente. De raisin vert et de chlore. De citron acide, et de bouée qui fait coincoin, oubliée dans le garage pour l’hiver. Mais cette opinion n’engage que mon nez, et moi.
Le goût, c’est une autre histoire. Un Curly déposé sur la langue fond et diffuse sa saveur, douce, rassurante et salée, de maïs torréfié avec ce fameux reviens’ y de beurre de cacahuète…D’ailleurs je suis certaine que vous avez déjà l’eau à la bouche rien que d’y penser ! Mais l’odeur ?
La prochaine fois, posez un nez-radar au dessus du sachet, et confiez-moi vos impressions !?

jeudi 13 août 2009

Métro 4

Métro Saint Paul un jour de plein été. Grosse chaleur. L’air vibre sous mes nu-pieds. La ville est engluée d’odeurs immobiles lourdes et poisseuses, dégagées par le bitume en fusion. Les immeubles transpirent par toutes leurs pores minérales, la végétation exhale une haleine d’assoiffée, les véhicules automobiles ventilent en surchauffe, et les piétons laissent des traces invisibles de lait caillé.
Pourquoi ce mélange d’odeurs disparates et peu séduisantes compose un parfum aussi sucré qu’une brioche criblée de fruits confis ?

Je ne sais pas
Je constate que chaque été au cœur du mois d’Août, au moment des plus grosses chaleurs, juste avant que les orages n’éclatent et ne rincent tout à grandes eaux, le parfum au centre de Paris atteint son point culminant entêtant, presque sexuel. Comme l’odeur de certaines femmes dans le creux de leurs mains au matin, celles parfois des hommes au creux de leurs reins, et celle de la sueur des bébés au creux de leur cou, à la naissance des cheveux fragiles. Quelque chose de doux, d’apaisant et en même temps d’un peu cracra…









mardi 4 août 2009

La laverie

Dimanche. Un bon jour pour nettoyer son linge sale en public dans une laverie où l’odeur de propre domine. Odeur impalpable, mais visiblement de notre époque. Comme le décor, impersonnel et sans bavure. Néons blanc et sièges en plastiques thermoformés rouge. Carrelages blancs et énormes engins rouges, percés d’un large hublot où l’on peut contempler sans fin, nos dessous sans dessus dessous. Je comprime rapidement mes vêtements dans la gueule du molosse rectangulaire. Bien gentiment il avale tout sans rechigner. Je n’achète pas la lessive sur place. J’apporte ma dose personnelle : l’odeur que j’accepte sur mes vêtements. Je veux bien partager le lave-linge, mais je refuse de sentir le blanc public. Je choisie mon odeur de propre, puisque je n’ai pas décidé de mon odeur de peau.
La laverie de mon quartier est à deux pas de mon bistro préféré. En traversant la rue je rince mon nez à l’air libre avant de passer d’un lieu clos à l’autre. Je vogue ainsi du parfum ouaté du détergent, vers le remugle aigrelet du comptoir. Je quitte un espace olfactif neutre bien programmé, pour une zone de remous imprévisibles.
Les odeurs de lessives deviennent universelles. Comme le Coca Cola. C’est un code de bonne conduite, de bonne odeur accepté par tous et reconnu par chacun. Un «Cadeau Bonux» pour petits et grands toutes couleurs de peaux confondues : car le linge propre conserve une trace. Forte. Invisible. Pendant plusieurs jours. Pourtant personne ne dit être dérangé par ce parfum élaboré et vendu depuis plus de 30 ans par nos industries. Cela n’existe pas. C’est là, parmi nous, un point c’est tout. Et grâce à ces effluves tout le monde se rejoint dans une bienheureuse neutralité. Paramétré. Dans les clous.
Hors sentiers battus, le bistrot. Odeur d’humanité. Remous et désordres. Le propre ne fait le poids. Battus en brèche par les remugles d’alcool divers, les vapeurs sucrées de la bière, les miettes un peu rances des frites oubliées sur un coin d’assiette, le gras métallique de la cuisson du steak. Le café froid, le café chaud, la mousse du lait. Les poussières diverses, accumulées en strates sur les étagères, et qui conservent encore quelques traces de nicotines d’une autre époque.
Je regrette l’odeur de cigarette, parfois. Elle collait à mes vêtements propres. Je perdais mon odeur de peau, j’appartenais à une autre humanité. Celle qui prenait des risques. Hors clous.

lundi 27 juillet 2009

Rayon Bricolage BHV

Sous Sol. Lumière grise et odeurs tamisées. Agitation de fourmis qui se faufilent entre les rayons à la recherche d’une aubaine, d’un truc trop précis et très pointu, ou simplement de l’inspiration. Commentaires de connaisseurs et questions d’ignorants. Le rayon bricolage au BHV, rue de Rivoli, est un labyrinthe d’allées et venues où l’on ne tombe pas seulement sur des clous. On trébuche surtout sur d’étranges odeurs qui s’échappent au détour d’un rayon, d’une étagère, de casiers divers, et d’un galimatias de tiges, tringles, tubes et outils inconnus.
Odeur de métal. Graisse de ferraille. Rognure de bois. Bout de plastique. Poussière antédiluvienne. Volutes invisibles des ampoules basses tensions, des néons, des guirlandes publicitaires.
Odeur masculine
Odeur fantasme de papa bricoleur. D’homme qui peut tout faire.
Odeur du cabanon de mon grand père, de l’atelier aux outils usés, polis par les gestes milles fois répétés et la sueur.
Odeur des mains noires et moites
Odeur des limes à bois, à métaux, odeur du papier de verre. Ca râpe. Ca gratte.
Tiens, un parfum douceâtre. Non, ce ne sont pas les émanations des fleurs en plastiques, fichées dans leurs pots en mousse compensée. C’est le filet d’air, qui s’échappe du couloir d’accès du métro. Il ouvre sa gueule régulièrement et, libère des parfums moites d’humanité : de pieds, de bonbons sucés sucrés, de poussières âcres et anisées, arrachées aux gommes surchauffées des roues de la trame…
Je me détourne. Je préfère les odeurs de boulons, rondelles, tubes, joints, écrous, dispersés dans tous ces minuscules casiers en bois, et tripatouillés par des milliers de mains chaque jours. Miasmes salés, un peu gras et piquants. Métalliques comme les bulles de l’eau de Perrier.
Je sais, j’ai le nez bizarre.

















Interlude

Presque un mois sans chronique....J'avoue, j'ai pris quelques vacances dans un pays aux odeurs douces amères, humides et salées : l'Irlande, pendant 3 semaines près d'un petit village perdu dans la lande : Ardgroom. Pas de connection internet, juste le vent, la pluie entre deux rayons de soleil, et le silence.
J'ai découvert avec plaisir dès mon retour hier soir la venue de nouveaux "nez lecteurs". Je vous souhaite la bienvenue. Merci également pour vos commentaires enthousiastes et pertinents.
Je poursuis après cette longue pause, mes vagabondages olfactifs....

lundi 29 juin 2009

Métro 5

Porte de Strasbourg Saint Denis
Derrière l’Arc de Triomphe
Puissance des odeurs
Parfum des peuples
Paris vivant Paris odorant
Au croisement des habitudes culinaires de chaque peuple : Asie Turquie Kurdistan Indonésie France Chine Afrique Pologne
Passage Brady : odeurs d'épices et de beurre clarifié
Rue du Château d’Eau : chimie miraculeuse pour cheveux frisottés. Parfum chaud d’ammoniaque, de noix de coco et d’huile de Karité
Rue Centrale: tomates vertes en saumure, fromage blanc qui s’égoutte doucement, charcuterie au Paprika. Remugles de vinaigre, de goudron chaud, de petit lait et d’agneau rôti à la broche. Polka et Kebab
Rue de l’échiquier : superette chinoise. Au fond de la boutique: poissons séchés, salés, congelés et oubliés. Odeur de chaussettes sales, de crottes de moineaux, de serpillière avachie et d’eau de javel abîmée
Rues grouillantes. Des gens partout. Des marchands de quat’saisons. Des cageots de bananes brunes et bradées. Des poubelles débordantes. De canettes oubliées. Des oubliés tout court. Sans logis. Sans sommeil. Sans rien, sauf l’odeur.
Papiers gras
Restes et épluchures
Le bonheur des Rats au petit jour
Odeur du Faubourg endormi. Parfum de crasse avant le réveil.

J’aime ce quartier de Paris qui schlingue.

mardi 23 juin 2009

Sur un banc

Fin Mai. Pause déjeuner au Jardin du Luxembourg. J’ai de la chance, je trouve la chaise que je préfère entre toutes, libre, près du bassin principal où tout le monde vient faire sa petite sieste post sandwich. La fameuse chaise verte, large, basse et inclinée qui accueille vos fesses entre ses bras tendus : glissade toboggan, cul calé, dos à bascule, visage position soleil. Les yeux clos, abandonnée et offerte à la paresse, je laisse mon nez se promener.
Paris est de bonne humeur. Les odeurs sont au beau fixe et mon esprit commence sa petite rengaine. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers, je tricote quelques rangs imaginaires parfumés. Mon nez glane des bribes presque par hasard aux grés des sautes de vent, aux passages des promeneurs, ou des enfants qui courent sans but en frôlant d’autre corps. Des bouts d’effluves, et des bruits. Le clapotis de l’eau, le bruissement des feuilles, le gravier qui grince sous le pas des passants, le chuchotement d’une chaise métallique déplacée loin de moi.
Le tricot prend forme, gonfle et s’étoffe de quelques rameaux de fleurs blanches, de plusieurs grains de sable et de trois gouttes d’eau. De fil en aiguille mes pensées odorantes m’entraînent loin de Paris. Je suis en Méditerranée. Je pense à ce colis reçu par la poste. Un bouquet de fleurs de Câprier en provenance de l’île de Pantelleria. Les rameaux sont comprimés en une boule compacte de feuilles et de pétales défraîchis. Une seule fleur a réussit à supporter le voyage, peut être le bourgeon s’est il ouvert en chemin ? Je porte la fleur fragile à mon nez, et je suis surprise par la douceur amère de son parfum. Je perçois la lumière éblouissante des journées d’été, l’odeur fugitive et sèche des pierres brossées par le vent du large et, au creux de la fleur, protégée par un pistil très ébouriffé, une fraîcheur de sève, souple, humide et grinçante. Comme une source cernée d’ombre. Je cherche l’équilibre entre l’humidité et l’aridité. Etre sur le fil, lorsque parfois on découvre un versant, et le lendemain un autre, notre mémoire olfactive oscillant entre douceur et aspérité.
Paris. Jardin du Luxembourg. Je pense à cette fleur de Câprier. Le récit s’émaille de plusieurs chapitres, de quelques intrigues récoltées pendant ma pause déjeuner. Cependant, l’instant que je préfère est celui où le parfum enfin achevé prend son envol et me quitte pour aller vers les autres. Il se produit alors un phénomène curieux et toujours renouvelé, dont je ne me lasse point : l’histoire change de main. Parfois elle est réinventée, parfois elle s’agrémente de quelques nouveaux détails. Parfois le récit original est totalement oublié.

J’aime cette idée que le parfum ne m’appartienne pas.

dimanche 21 juin 2009

Ciné Cité des Halles

Séance de 20h00
A l’écran, James Bond le retour. L’espion Anglais passe les générations. Depuis l’époque de la belle Ursula Andress, l’éternel séducteur revient vers nous tout les 3 ans, explose et agace, mais provoque toujours le même engouement ponctué d’un, « le précédent était encore mieux… »
Le scénario reste sensiblement le même : la Grande-Bretagne sauve le monde, car les Américains ont raté le coche. Les filles sont toujours belles, capricieuses et passagères. Le héros est toujours beau, macho, biscoto et pas rigolo. Le méchant est toujours diabolique, cynique et technologique.
Mais.
L’odeur de la salle de projection change.
Autrefois, époque « clope brouillard ». Sièges en tissu plus ou moins confortables, criblés de trous de cigarettes. Volutes parfois cruelles, sèches et métalliques de la Gitane brune. Effluves monotones et douceâtres, façon semelle de cuir mouillé, des Marlboro/Camel. Et surtout le sentiment angoissant au moment de pénétrer dans la salle obscure, de tomber au fond d’un gigantesque cendrier encombré de mégots froids mâchouillés. Parfum griffé, collant, indélébile, mémorisable entre tous.
Une dizaine d’années passent et voici l’époque RAS des « bonbons-squimo-chocolat » sans saveurs ni odeurs, juste quelques bruits de papiers froissés. Puis tout doucement depuis les années 80 est apparu un agréable pot-pourri des derniers parfums masculins belles gueules, des bouquets féminins aux accents de barbapapa, rehaussé par des relents de lessives ultra performantes.
Aujourd’hui on y voit clair, nos poumons respirent. Les petits bruits de papiers froissés n’ont pas changé, mais un nouvel invité est arrivé, qui parvient sans coup férir à dévorer le plus puissant des cocktails élaborés dans les labos des meilleurs parfumeurs : le Pop Corn !
Plus destructeur que tous les James Bond réunis il jaillit en mille facettes sucrées, salées, grasses, brûlées, rances, boisées, poussiéreuses, cartonneuses, soyeuses, rêches, sèches, aigres, fruitées, et se répand entre les rangs. Impitoyable, le parasite olfactif nourrit virtuellement vos papilles. Rassasié, vous demandez grâce. Ecoeuré, vous vous raccrochez in extremis à l’image tressautante d’un Bond infatigable qui bondit d’immeuble en voiture, quand vous n’avez pas le choix et devez rester à votre place.
Deux solutions sont envisageables, à défaut de signer une pétition pour que cesse la vente des Pop Corn.
1- achetez des Pop Corn et vivez votre propre huis clos.
2- Inspirez soigneusement l’odeur des Pop Corn de vos voisins. Réalisez ensuite mentalement une description personnelle et détaillée de toutes les facettes : de la plus irritante à la plus drôle. Verrouillez votre esprit analyseur d’odeur. C'est-à-dire : cesser de penser à l’odeur qui tourne autour de vous, puisque maintenant elle est devenue votre compagnon familier.
Adoptez le flegme anglais et profitez du film ! Qui est moins bon que le précédent je sais, mais là je ne peux plus rien pour vous…

...à propos d'une conversation de mercredi soir au Carillon !

jeudi 18 juin 2009

L'Avion de 7h00 AM

Premier vol. Premières odeurs
Ce n’est pas l’heure indue qui est pénible.
La foule tranquille, mesurée, s’agite en mode automatique et fonctionne au radar, cette force de l’habitude qui permet d’enregistrer son vol en une phrase, ou en un clic. Bonjour. Non pas de bagage. Pas de truc qui explose. Merci. Au revoir. Sorte de résignation générale, variété élégante de mouton de panurge qui se rend vers son quart de champs. Je broute les nouvelles du jour. Le regard hagard j’avance d’un pas.
Non, ce qui est pénible avec l’avion de 7h00 ce sont les odeurs. Rien à voir avec le métro de bon matin, lorsque les travailleurs usés de la nuit croisent les frais pimpants qui commencent leur journée. L’avion de 7h00 est composé d’hommes. Surtout des hommes. Des hommes fraîchement lavés, brossés, parfumés, embarqués en un bel ensemble pour une journée de Grand Challenge. Chacun a joyeusement et consciencieusement abusé de déo, eau de toilette, after-shave et autres papiers tue-bouche. Je soupçonne même certains individus mâles, inquiets par crainte de manquer, de n’avoir épargné aucun coin de peau et d’avoir joué les superpositions. C’est l’odeur de l’avion de 7h00. Les têtes de gondoles côtoient les vieux classiques à papa.
Rarement je renifle un intrus doux, soyeux, quelque fois croustillant. Une femme ! Mais habillée d’un pantalon tailleur, je n’aurais pu faire la différence, si elle ne s’était enduite de son parfum gourmand, si gourmand, que monte en moi soudainement une envie, là, tout à coup, d’un croissant chaud.
L’avion de 7h00 AM
En cabine
Cycle de la clim
Absorption, compilation et distribution
Création inimitable d’un nuage odorant invisible et entêtant, où se mêle un parfum de menthol, type « after-eight » sans le chocolat ; un enchevêtrement d’effluves de bois de cèdre et autres fibres exotiques, comme si une rangée de crayons à papier m’encerclait tout à coup ; quelques grains de poivre, un peu de paprika, une pincée d’herbes de Provence, un vague fond de siège en simili cuir.
Le tout modelé et féminisé par les parfums souvent prégnant des hôtesses de l’air, qui abandonnent à chaque passage et, lors de la cérémonie du gilet de sauvetage -- gonflé en un généreux mouvement de piston -- , un nuage rose et poudré, méli-mélo de fleurs évanescentes et de crème fouettée.
Quand l’avion s’en mêle, un pet de kérosène parvient parfois à se faufiler dans les gaines de recyclage de l’air. Vorace, il jaillit hors des ventilations et percute, gobe puis dissout toutes les effluves moles en un clin d’œil.
Effet déroutant, un peu rebutant, qui procure le sentiment d’un reboote du système. Ctrl/Alt/Suppr en quelque sorte.
Le nez vide, on peut passer au petit déjeuner : café /gâteau sec, merci Madame.

Pour MMR

mardi 16 juin 2009

Nez Voyeur

Un jour, il y a de cela plus d’un siècle, des hommes en blouses blanches et longs favoris, ont réussit à créer, transformer puis isoler dans leur laboratoire quelques molécules un peu étranges. Le but était sans doute la recherche en général, mais comme il arrive parfois ces chimistes curieux ont remarqué en plongeant un nez circonspect dans l’éprouvette, que le petit reliquat dégageait une odeur qui sentait bon. L’humain redevient animal face à l’inconnu : il renifle…cette fois-ci la découverte fut plaisante. Le chercheur avait isolé la coumarine, à l’odeur douce de foin.
Bien sur l’homme prend tout son temps, et je ne saurais vous conter précisément comment, mais quelques années plus tard, la molécule chimique fit un saut de puce et se retrouva dans un flacon de parfum mêlé étroitement à des huiles naturelles, des baumes et des teintures. Voilà. C’était fait. La parfumerie moderne était née…

Les huiles essentielles et les matières premières naturelles qui existent depuis bien longtemps sont bavardes : elles chuchotent, piaillent, crissent parfois.
Le produit de synthèse est laconique et précis. Il ne s’encombre pas de détails, émet un seul son, et demeure fidèle jusqu’à sa dernière molécule.
La Synthèse mit un peu d’ordre dans la cacophonie débridée de tous ces parfums très Naturels, où chaque composant tentait de faire entendre sa voix, afin d’être le premier sous l’effet d’une caresse ou d’un courant d’air, à s’échapper d’une peau, d’une mèche de cheveux ou du mouchoir de monsieur. Les parfums des temps anciens sentaient un peu le tout et beaucoup le rien. Un peu d’ordre et de clarté et surtout, beaucoup de liberté est né grâce à la chimie.
Mais ça c’est une autre histoire…

En quelques mots je vous propose la chronique d’un nez.
Je suis parfumeur, chaque jour je créée des odeurs, pour votre douche quotidienne, ou pour vos soirées exceptionnelles lorsque vous désirez être unique et reconnaissable.
Vous ne le savez pas mais je fais partie de votre intimité, je l’accompagne en douce et souvent, je devine vos lendemains.
J’écris des formules à parfums, dans un jargon inaudible pour le profane, mais parce que la vie de tous les jours m’inspire des histoires en odeurs, et que la vie peut aussi se comprendre à travers nos odeurs, je vous propose une chronique odorante.
Un regard sur notre quotidien à travers mon nez.
Je suis un nez voyeur.